Je pleure encore la beauté du monde est une évasion entre loups et hommes, une mise en abyme de la folie, de la méfiance, de la violence qui nous achève mais aussi de tout ce qui nous relie, jusqu’au plus infime, au plus enfoui.
Charlotte McConaghy, avec la traduction de Marie Chabin, nous revient pour ce roman situé au cœur des terres hautes d’Écosse. Tu y fais la connaissance d’Inti Flynn élevée, avec sa sœur, dans cet état d’esprit où il faut rester sur ses gardes, à l’affût. Le père se nichait en forêt, résolument éloigné de la civilisation tandis que leur mère, avocate, garde son cynisme comme bouclier pour contrer la noirceur humaine.
Toujours attachée à l’importance des forces de la nature, l’auteure australienne fait d’Inti une biologiste résolument impliquée dans un programme de réintroduction des loups.
La puissance de ce roman est ce ressenti tenace de l’enchevêtrement de la figure humaine et animale. Car, au delà des loups, deux meutes s’affrontent. Celle venue restaurer un écosystème en crise en remettant un super prédateur au cœur des Highlands, contre celle des petits éleveurs prêts à tout pour défendre leurs troupeaux et éloigner une menace quasi originelle. Au milieu des deux clans, le commissaire Duncan, sorte de vieux loup solitaire, observe et agit en conséquence lorsqu’un premier meurtre est perpétré dans sa communauté.
Charlotte McConaghy introduit le loup dans l’humain et inversement. Elle brise les frontières érigées afin de donner une perspective toute particulière à cette histoire tissée de manière troublante et donc addictive.
« Retenant son souffle, elle soulève mon menton et nous, regardons toutes les deux là-haut pour ne rien louper du spectacle que nous offre le ciel, il danse, vert, violet, bleu, (…) et je pleure encore mais pour la beauté du monde maintenant, pour son attrait subtil, pour le mystère qu’il renferme et sa temporalité, pour sa compréhension profonde, tellement profonde, alors que j’étais si près du bord (…) «
Au sein de cette région peu peuplée et fertile, Ingi veut réensauvager le monde par le prisme du loup, amer remarquable de sa vie avec lequel elle entretient un rapport profond, charnel, absolu.
D’autant plus qu’Ingi souffre de synesthésie visio-tactile. Son cerveau commande à son corps d’éprouver les sensations dont elle est témoin visuellement. Ce fameux effet miroir désormais cher à l’auteure.
Ingi fait face à la haine, la violence, la peur, la jouissance, les naissances, la beauté sauvage tout en les vivant de manière décuplée. Une seule chose est sûre, elle reste prête à tout pour défendre celles et ceux qu’elle aime.
Un roman ensauvagé, noir, palpitant, flamboyant.
Traduit de l’anglais (Australie) par Marie Chabin.
Fanny.
Je pleure encore la beauté du monde, Charlotte McConaghy, Gaïa, 368 p. , 22€90.