Léo Lebrun est un fils de. D’ailleurs, avant de parler de lui et de son livre, le chroniqueur se demande si ce n’est pas par là qu’il faudrait commencer, par cette figure du père si imposante qu’elle est, quelque part, à l’origine de ce texte. Même s’il n’est pas question, ici, de « tuer le père », convoquons-le donc immédiatement, cet homme hors-normes, puisque, de toutes façons, il sera question de lui tôt ou tard.
Frédéric Lebrun, donc, 1 mètre 92 pour 115 kilos, judoka plusieurs fois médaillé, formateur de championnes olympiques et mondiales, un club à son nom, une femme médaillée, une fille médaillée, un fils ceinture noire … Ça, c’est le portrait qu’en fait l’éditeur, la photo officielle, l’image qui reste après sa mort. Mais on ne peut être le fils de Frédéric Lebrun et se contenter de cette biographie tronquée. Léo, fils aîné qui se découvre des velléités d’écriture, se lance ainsi dans ce qui, au départ, se présente comme un journal écrit dans un petit cahier bleu. Mais, peu à peu, le projet va prendre une autre forme, une direction différente et c’est ainsi, après un long cheminement et d’interminables incertitudes, c’est ainsi que naît La Bagarre, ce livre sur le judo qui n’en est pas un. C’est aussi (surtout ?) de ce travail que parle le livre, du métier d’écrivain. Mais pas que.
Malgré quelques atermoiement initiaux quant à ses véritables intentions au moment d’écrire, Léo Lebrun finit par trancher :
« Si je voulais régler des comptes, je pourrais me contenter d’écrire un livre sur le judo, naturaliser père, belle-mère, frère et soeur comme des papillons géants et les écraser entre deux pages. Mais je n’ai pas une vision comptable de l’existence. Je ne compte pas. Compter, c’est terrible. Encore plus terrible qu’écrire. Compter, c’est trop cruel pour être beau. »
Même s’il y a toujours moyen de remonter plus haut, plus loin dans le temps, on considèrera, ainsi que le fait Léo, que tout commence avec une blessure et des poèmes, ceux de son père, ceux de Bukowski, les siens. C’est peut-être là le premier pas, celui qui, bien plus tard, permettra à ce livre de se retrouver sur les tables des libraires. Léo a trente-quatre ans quand il décide de passer sa ceinture noire. « (…) Je trouve ma ceinture marron un peu ridicule au milieu de toutes les ceintures noires de ma famille. » Lui qui arrêté le judo durant plusieurs années suite à cette blessure aussi fameuse qu’inévitable, semble-t-il, celle que tout le monde appelle le ligament croisé. Même s’il peine aujourd’hui à déterminer le moment exact où lui est venue l’idée d’un livre, Léo admettrait sans aucun doute qu’elle est née plus ou moins au même moment. Écrire un livre, reprendre le judo, même combat. C’est donc, initialement tout au moins, un livre qui parle de judo mais qui, très vite, se met à parler d’autres choses, comme si son sujet échappait à l’auteur. Et Léo Lebrun prend rapidement la pleine mesure de la difficulté d’écrire, à laquelle s’ajoute la difficulté de reprendre les combats sur le dojo. Ce sont d’abord des souvenirs qui prennent vie sous la pointe de son stylo puis, insensiblement, le ton change, les raisons d’écrire aussi puis Léo se décide à faire entrer son père en scène, cet homme plus grand que nature et les légendes qui l’entourent.
Alors oui, il sera longuement question du père mais au fil des pages, c’est aussi un portrait du fils qui se dessine, en même temps qu’un tableau de la famille. Finalement, La Bagarre, c’est l’histoire d’un fils qui apprend à devenir un homme, d’un fils qui devient père à son tour, d’un homme qui apprend à écrire et à vivre de son mieux. Finalement, La Bagarre, c’est l’apprentissage de la difficulté du métier d’homme, rien d’autre et c’est déjà énorme. Comment grandir entouré de figures aussi imposantes que celle de Frédéric Lebrun ? Comment grandir dans l’ombre de son père ? Comment grandir tout court ?
Tout à la fois hommage et portrait de famille, récit social, traité sur le sport et l’écriture (Mes dix règles d’écriture, d’Elmore Leonard est cité dès la première page), biographie foutraque autant que sincère, La Bagarre est un texte d’une énergie folle, parfois très drôle, souvent touchant, un récit au cours duquel on voit naître l’auteur en même temps que le livre. Une telle entrée en littérature ne peut que nous réjouir et on espère que Léo Lebrun en a encore sous le coude car il semble ne jamais mieux avancer que quand il combat.
« Certains vont à la pêche, d’autres regardent les matchs de foot à la télé. Y en a qui font du vélo et d’autres qui s’insultent. Y en a qui font des maquettes d’avions de chasse, qui jouent au Monopoly. Certains cuisinent, ou vont à la page. Nous, on s’étranglait. »
Yann.
La Bagarre, Léo Lebrun, Éditions du Panseur, 280 p. , 19€.