L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
La Casse, Eugenia Almeida (Métailié Noir) – Yann
La Casse, Eugenia Almeida (Métailié Noir) – Yann

La Casse, Eugenia Almeida (Métailié Noir) – Yann

« Deux crétins qui partent à la choure sans rien dire à personne. et qui en chemin se mettent à buter des gens. Et toi qui par-dessus le marché me rajoutes deux morts. Il va falloir que je me tienne à carreau, je sais pas combien de temps. Si je ne te tue pas maintenant, que ce soit bien clair entre nous, c’est juste pour ça. Pour calmer le jeu. Barre-toi. »

Créées en 1979 par Anne-Marie Métailié, les éditions du même nom continuent de défricher inlassablement le territoire des littératures hispanophones (entre autres) et nous permettent régulièrement de belles découvertes (on pense notamment à Eduardo Fernando Varela dont les deux premiers romans avaient séduit l’équipe d’Aire(s) Libre(s)). Dire que nous ne sommes pas des spécialistes de la littérature argentine serait un doux euphémisme et c’est toujours un plaisir de pouvoir élargir nos horizons. On découvre donc Eugenia Almeida avec autant de bonheur que de retard car La Casse est le quatrième de ses romans à paraître chez Métailié depuis 2007 …

Une ville, quelque part en Argentine. Une société au sein de laquelle chacune et chacun a plus ou moins trouvé sa place, où une forme d’équilibre a fini par s’installer. Une ville où, en quelques heures, tout va déraper, un séisme ébranlant l’édifice social et humain depuis ses bases jusqu’au sommet.

Construit en 76 très courts chapitres (et donc d’autant plus facile à dévorer), La Casse s’apparente à un jeu de dominos (image d’ailleurs utilisée quelque part par un des protagonistes). Mais ce qui aurait pu n’être qu’un exercice de style un peu vain s’avère une franche réussite tant l’autrice a su y insuffler d’énergie et de tension. Cette radiographie d’une implosion impressionne par la force de son réalisme et Eugenia Almeida excelle à mettre en scène une véritable comédie humaine à petite échelle, en s’attachant aux destins d’une douzaine d’hommes et de femmes, flics, putes, ministres, mafieux, profs ou petits voyous. Au fil des conversations, des rencontres et des fusillades, les liens et les interactions se précisent et l’autrice met en place avec délectation le mécanisme qui, partant d’un acte aussi spontané qu’imbécile, conduira à un mouvement de panique politique et sécuritaire auquel chacune, chacun tentera de faire face. Bêtise, colère, incompétence et corruption font rarement bon ménage et l’accumulation des quatre peut rapidement conduire au désastre.

Non contente de décrire avec précision la spirale mortifère dans laquelle seront emportés une partie des habitants de la ville, Eugenia Almeida parvient à donner de la chair et de l’âme à ces hommes et femmes et livre à son échelle un tableau frappant de la réalité sociale de son pays et des collusions entre politique, police, petits voyous et mafieux bien implantés. De manière plus fine encore, elle parvient à faire partager au lecteur les espoirs et les angoisses qui les animent ainsi que les liens qui les unissent, parfois malgré eux.

Photo : Philippe Matsas.

Extrêmement dynamique et fluide, l’écriture d’Eugenia Almeida alliée à son sens du récit offre un des très bons romans noirs de ce début d’année, efficace, sans esbroufe inutile, une réussite de plus à mettre sur le compte des éditions Métailié.

« Si seulement nous n’étions pas entravés par l’éducation, l’amabilité, la politesse. Si seulement nous pouvions faire exactement ce que le corps exige, Saravia bondirait sur ce type qui le dévisage et le frapperait avec quelque chose d’affreusement lourd, en pleine tronche, il lui ferait sauter toutes ses dents. Il y aurait du sang, des morceaux partout, du verre par terre, des vêtements en lambeaux. Et personne ne pourrait l’accuser de rien. Tout le monde comprendrait qu’il a fait la seule chose possible, qu’il s’est contenté de répondre à une provocation. »

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Lise Belperron.

Yann.

La Casse, Eugenia Almeida, Métailié Noir, 205 p. , 20€.

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