Dans cette contrée de Caroline du Nord, entre rivière et montagnes, que l’œuvre de Ron Rash explore inlassablement depuis Un pied au paradis, un monde est en train de s’effacer pour laisser la place à un autre. Le shérif Les, à trois semaines de la retraite, et Becky, poétesse obsédée par la protection de la nature, incarnent le premier. Chacun à sa manière va tenter de protéger Gerald, irréductible vieillard amoureux des truites, contre le représentant des nouvelles valeurs, Tucker. L’homme d’affaires, qui loue fort cher son coin de rivière à des citadins venus goûter les joies de la pêche en milieu sauvage, accuse Gerald d’avoir versé du kérosène dans l’eau, mettant ainsi son affaire en péril. Les aura recours à des méthodes peu orthodoxes pour découvrir la vérité. Et l’on sait déjà qu’avec son départ à la retraite va disparaître une vision du monde dépourvue de tout manichéisme au profit d’une approche moins nuancée.
J’ai lu quelque part que la directrice de collection de la Noire, Marie Caroline Aubert avait décidé de faire appel à Isabelle Reinharez pour traduire Ron Rash. La poésie des mots du romancier devait transpirer à travers la traduction. Il semble que quand Ron Rash a entendu les textes lus en français, il a reconnu ses sonorités et la musique de son texte.
On le dit pas assez, mais merci à ces traducteurs qui nous donnent à entendre la vraie musique de ces romanciers qu’on ne lit pas dans leur langue originale.
La Noire avait disparu, il y a quelques années, et c’est Ron Rash qui la réinvente avec “Un silence brutal”.
Bonne nouvelle.
Alors un genre de pitch par le pitcheur que tu connais.
Les, le shérif d’un patelin un peu paumé, part à la retraite dans trois semaines. Putain, trois semaines. Il veut juste classer les derniers dossiers qu’il lui reste et se casser à la pêche ou ailleurs.
Un ou deux derniers trucs à faire, genre s’occuper d’un labo de meth, et calmer Gérald et Tucker, qui ne se supportent pas. La chose compliquée, c’est que quelqu’un a versé du kérosène dans la rivière où les clients de Tucker viennent pêcher.
Gagner de la thune ou protéger la nature. Ron Rash avait déjà abordé la chose dans “Le chant de la Tamassee”.
De là à dire que ce genre de choses lui tient à cœur, il y a donc un pas que je franchis allègrement.
Peu nombreux sont les romanciers capables de te laisser entrevoir la poésie de la nature et quelques lignes plus tard, d’y confronter la misère et la violence sociale.
Rash fait partie de ces auteurs qui, à travers une écriture au cordeau, peut te faire chialer pour le beau que tu vas voir dans ses mots, puis chialer à nouveau pour le noir qu’il va te raconter.
Pas un mot de trop, pas une phrase dont tu te demandes ce qu’elle fait là.
Des personnages qui se démènent comme ils peuvent pour s’en sortir malgré la vie et ses difficultés.
Tu vas donc croiser Les, le shérif. Et tu vas tenter avec lui de préserver les habitants de ce patelin en faisant le maximum pour que la loi que tu appliques ne fasse de mal à personne.
Tu vas rencontrer Becky. Becky qui a croisé le Mal et qui est devenue Garde-faune.
Chacun des personnages fait ce qu’il peut au milieu des épreuves et tente d’atteindre l’absolution ou la rédemption.
Tu vas croiser deux Amériques, celle des bijoux et du pognon, face à celle qui veut autre chose qu’une belle bagnole ou une grande maison.
Tu vas comprendre pourquoi, comme chez nous, certains ont l’impression de n’être plus grand chose à défaut de n’être plus rien. Pourquoi parfois la violence se lève face à ceux dont la seule attitude n’est que condescendance et mépris.
Ça te rappelle quelque chose ?
Une dernière chose : tu vas entendre le silence.
Il n’y a que de rares écrivains qui sont capables de te faire entendre le silence, et Ron Rash en fait partie.
“ C’est le printemps, disait Clara, ça va être le cœur du printemps.
À quoi le sais-tu ?
Et Gina regardait les yeux morts toujours pareils à des feuilles de menthe.
Ça sent, disait Clara, et puis ça parle.”
C’est de Giono, et ça ouvre le roman de Ron Rash.
C’est tout ce que je suis capable de dire sur ce roman.