L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Châtiment, Percival Everett (Actes Sud) – Fanny
Châtiment, Percival Everett (Actes Sud) – Fanny

Châtiment, Percival Everett (Actes Sud) – Fanny

« Comment ça j’ai été interrompu ? Je suis le Président des États-Unis, putain. J’en ai rien à foutre qu’il soit mort. J’étais en train de parler. Quand est-ce qu’ils ont coupé ? J’avais presque réussi à faire croire à ces abrutis que j’avais pas dit  » nègre ». Hahaha. Je suis le meilleur. Je vendrais de la glace à des Esquimaux. Putain, je vendrais une corde à un nègre. Quoi ? On est revenu à l’antenne. Je n’ai pas dit ce que vous croyez m’avoir entendu dire. « 

Perceval Everett se fait plaisir et n’y va pas avec le dos de la cuillère, c’est sûrement ce qui donne à cette histoire ce ton si juste et survolté, n’en déplaise aux chastes oreilles.

Un Châtiment remuant les tripes, visitant la sombre histoire des lynchages et des lâchetés, dégoupillant le suprématisme  » made in » redneck.

Money est cette petite ville du nord-ouest de l’état du Mississippi bordant la rivière Tallahatchie.

De nos jours, une série de meurtres à la mise en scène étrange secoue cette bourgade blanche et « racistement » bien portante, à l’image de son Président, un certain Donald Trump.

À quelques jours d’intervalle, deux hommes blancs sont retrouvés morts avec, à leur côté, ce « toujours même » cadavre d’un homme noir au visage défiguré, serrant dans son poing leurs testicules.

Petit retour en arrière…

Le 28 Août 1955, Roy Bryant et J. W. Milam enlevèrent, dans cette même ville de Money, le jeune Emmett Till suite au – faux- témoignage de Carolyn Bryant.

Emmett Louis « Bobo » Till va être battu à coups de crosse, forcé de se mettre nu, abattu d’une balle dans la tête.. Un ventilateur de machine à trier le coton lui est attaché autour du cou avec du fil barbelé et son corps jeté dans la rivière.

Aucune condamnation pour les deux hommes. Comme des centaines d’autres lynchages dans la région.

Perceval Everett, avec la traduction d’ Anne-Laure Tissut, tisse la toile des souvenirs lugubres de Money, et des États-Unis, en nous entraînant dans une enquête mêlant gore et humour… noir, pour finir en apothéose version zombies dans « Thriller ».

Vous allez adorer Jim et Ed, ce duo de flics pas nés de la dernière pluie, tandis que ça twiste tout autour de Mama Z.

Pro Trump s’abstenir, l’heure du Châtiment a sonné.

Fanny.

Châtiment, Percival Everett, Actes Noirs, 352 p. , 22€50.

2 commentaires

  1. MALLARD Jean-Yves

    Bonjour Fanny.

    Je partage ton enthousiasme à propos de « Châtiment », le dernier livre de Percival Everett, qui a déjà derrière lui bon nombre de très grands romans. « Blessés », par exemple.

    Je ne veux rien ajouter à ta chronique, juste, en te saluant au passage avec toute mon amitié, te signaler le livre de John Edgar Wideman paru en 2017 chez Gallimard, « Ecrire pour sauver un vie. Le dossier Louis Till ». Nous en avons peut-être parler ensemble, à une époque. Louis Till était le père d’Emmett Till dont le « fantôme » est au cœur du roman de Percival Everett. Wideman comme tu le sais est l’un des plus grands écrivains américains. Qui a lu « Reuben », « Le massacre du bétail », « Suis-je le gardien de mon frère » et bien d’autres de ses ouvrages, récits et romans, ne peut en douter. Wideman a 14 ans, le même âge qu’Emmett quand il apprend son lynchage; comme lui, comme Everett, c’est un Noir américain. Dans « Ecrire pour sauver une vie », il revient sur cet assassinat raciste et sur la machinerie judiciaire qui verra la jeune victime transformée en coupable et l’acquittement de ses bourreaux après moins d’une heure de débats de pure forme. Percival Everett, comme tu l’écris, invente une vengeance, un châtiment jubilatoire et fantomatique pour remettre les choses à l’endroit, si c’est possible. Parmi les arguments judiciaires pour innocenter les coupables du lynchage d’Emmett, et c’est sur quoi s’attarde longuement John Edgar Wideman, les « juges » retiendront surtout le fait que c’est le fils de Louis Till. Enrôlé dans l’armée américaine, Louis Till est jugé et pendu en France en 1945 à la suite d’une accusation de viol. Procès expéditif tel que Louis Guillou l’évoque dans « O.K Joe ». Wideman en démonte le mécanisme avant de revenir à Emmett. Tel père, tel fils a considéré le jury au moment d’acquitter les assassins de l’adolescent : Emmett a dévisagé une femme blanche sur un trottoir, ou une femme blanche s’est sentie dévisagée par un jeune adolescent noir, un violeur potentiel comme son père, donc le lynchage était justifié.
    « Châtiment » et « Ecrire pour sauver une vie » ainsi se répondent.
    Ainsi John Edgar Wideman et Percival Everett conjuguent leur talent pour, chacun a sa façon, nous rappeler, si besoin était, la violence raciale de l’histoire américaine, hier et aujourd’hui.
    Jean-Yves

    1. agnif

      Merci Jean-Yves pour ton retour toujours inspiré et le lien puissant unissant J.E. Wideman (traductrice Catherine Richard-Mas pour « « Écrire pour sauver un vie. Le dossier Louis Till ») et Louis Guilloux (préface du précis Éric Vuillard).
      Père et fils, victime d’une justice expéditive ( effet miroir effroyable ) comme des centaines d’autres à cette époque…et hélas encore tristement de nos jours.
      D’où, effectivement, ce côté extrêmement jubilatoire de « Châtiment ».

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