L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Clair obscur, Don Carpenter (Éditions Cambourakis) — Nicolas
Clair obscur, Don Carpenter (Éditions Cambourakis) — Nicolas

Clair obscur, Don Carpenter (Éditions Cambourakis) — Nicolas

Si t’es comme moi, à part les quelques grosses présentes sur la place parisienne depuis des lustres, tu connais pas la plupart des dix et quelque mille maisons d’édition en France.

Pourtant, parfois, certaines avec un nom bizarre ou qui sonne bien, je pense à La fosse aux ours, qui avait, il y a des années, édité en français Mon grain de sable  de Luciano Bolis, ou aux Éditions Gallmeister, qui font un boulot de dingue avec les auteurs américains, ou à La Manufacture de livres, bien sûr…

Quelques autres, mais je vais pas toutes te les écrire, ça va faire mec qui s’étale.

Donc, Cambourakis.

Éditer un roman sorti en 1967, et jamais traduit chez nous, ça tient du pari.

Avant celui-ci, Sale temps pour les braves, Un dernier verre au bar sans nom ou Un rêve lointain.

Il a été dit de Don Carpenter qu’il était le chaînon manquant entre John Fante et Richard Price. Tu connais mon amour indéfectible pour John Fante, alors tu comprends bien que je pouvais pas passer à côté.…

Je suis tombé sur Clair obscur.

En fait, je suis tombé dans Clair obscur.

Je te fais grâce de la biographie de Don Carpenter. Tu vas la trouver facilement sur le ouaibe.

Il s’agit ici de son deuxième roman.

C’est l’histoire de Semple.

Semple, qui ne te lâchera plus jamais quand tu refermeras le bouquin. À chaque fois que tu vas croiser un type un peu bizarre, un peu répugnant, un peu acnéique, tu verras Semple.

Il a passé dix-huit années dans un hôpital psychiatrique. Les hôpitaux, à cette époque-là, c’est un peu comme maintenant, ils manquent de place.

Pas pour les mêmes raisons, mais quand même, on se rend compte que les choses ont très peu changé.

Semple, donc, on le relâche. Comme on sait plus tellement quoi en faire, on est tout à fait sûr qu’il va se réinsérer dans la société.

Barbara Hall / Courtesy of the Lucretia Little History Room / Mill Valley Public Library.

Une première partie tout en douceur, qui s’appelle « dehors ».

Quand je dis tout en douceur, je déconne. Semple a été un adolescent qui a grandi au milieu d’une « famille » d’alcooliques. J’ai mis des guillemets à « famille ».

Il est le mec sur qui on cogne, au lycée. Le souffre-douleur. Il est humilié, insulté, mais il s’en tape. Il existe à travers les coups qu’il reçoit.

Quelques autres personnages, rendus vivant par Don Carpenter, puis oubliés quelques lignes plus loin.

Dehors, parce que Semple est dehors jusqu’au moment où une petite nana va l’envoyer à l’asile. Dehors parce que parfois, l’enfermement, il n’est pas au cœur des murs, mais il est à l’intérieur de la tête.

Puis « Dedans ».

L’enfermement de cette femme que Semple va guetter tous les soirs. Cette femme qui a épousé le type qui le brutalisait quand il était môme. Cette femme, dont il sait qu’elle pourrait l’aimer si elle le rencontrait. Elle est triste. Tellement triste. Mariée à un type brutal qui l’enferme chez elle.

Une lutte permanente entre le dedans et le dehors, entre l’ombre et la lumière, entre le clair et l’obscur.

J’ai lu quelque part que Céline Leroy, la traductrice de Don Carpenter, disait qu’il allait chercher en permanence le morceau d’humanité dans chacun de ses personnages.

C’est sans doute pour ça que tu vas osciller pendant toute ta lecture, entre la répulsion et l’empathie.

C’est sûrement pour ça que tu vas avoir l’impression que les pages de ce roman te collent à la peau, poisseuses comme une vieille tartine de confiture moisie dont tu ne peux pas te débarrasser.

Certainement pour ça aussi que tu ne regarderas plus jamais une boule de billard de la même manière.

Un roman très court, donc, et d’une terrifiante actualité, encore, puisque tu as forcément entendu parler de ces mômes qui se suicident parce que trop harcelés au collège ou au lycée. Peut-être même que t’en connais.

Tu vas te souvenir de Harold Hunt, parce que tu vas revoir le visage de celui qui faisait subir aux autres tout un tas de brimades sans que personne intervienne, ou ne veuille intervenir.

Tu t’en souviens ?

Don Carpenter ne va pas te filer tout d’un coup. Tu vas découvrir cette adolescence et cette enfance d’une tristesse immense au fur et à mesure de ta lecture, jusqu’au moment où tu vas comprendre pourquoi il a été enfermé.

Tu vas penser, si tu l’as un peu feuilleté, à Bourdieu et son « habitus ».

Semple, pour finir, va naviguer dans le « clair obscur » pendant sa vie entière. Tu vas parfois, comme lui, être aveuglé par un éclair de lumière, mais tu vas apprécier le confort de cette pénombre dans laquelle il évolue constamment.

Le style, ou plutôt la façon d’écrire (qui je suis pour juger du style du Monsieur) est, elle aussi, très particulière.

Des phrases longues, de temps en temps tout un paragraphe, pour tordre le cou au style bref et incisif de certains auteurs qui pensent que c’est comme ça qu’on doit écrire. Des phrases qui vont au bout de ce que Don Carpenter veut nous décrire.

J’ai lu quelque part, puisque c’est son second roman, que ce style avait évolué, justement, et que dans son dernier texte, il avait adopté une écriture plus à l’os.

Je te dirai peut-être parce que je vais suivre de près les renaissances de ses bouquins.

Imaginer que pas un seul de nos éditeurs n’ait eu l’idée, bien avant les années 2000, de nous offrir ces joyaux de la littérature américaine tient du non-sens.

Tu me diras, chacun son boulot.

Le nôtre, c’est de lire, pas de juger du bien-fondé de la place de chacun…

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy.

Nicolas.

Clair obscur, Don Carpenter, Cambourakis, 159 p. , 18€.

Ne cherche pas de lien avec la chronique, il n’y en a pas. Juste écoute…

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