J’ai décidé, il y a quelques semaines, de relire les romans qui m’ont laissé une trace au fond du cœur. Les romans qui, avec parfois une seule phrase, sont restés gravés quelque part. Une seule phrase, pour les relire tous…
Et tu vas encore augmenter ta liste de bouquins à acheter.
Je t’explique.
Il y a les livres que tu fermes, et que tu oublies. Tu vois desquels je parle ? Avec Crocs, on est à environ un million de kilomètres de ces livres-là.
Comme d’hab, je te raconte pas l’histoire. Tu la liras, tu la découvriras, et elle va te laisser une marque au fond de la tête.
D’abord, écoute ça :
« On s’est perdus à ce moment, tous les deux. Quand on s’est mis à rêver l’autre plutôt que de le voir, alors qu’il était là. Qu’il était juste là. »
Voilà, pour la mise en bouche.
Dans le livre, il y a la nature. C’est sans doute le personnage principal. Celle que tu connais pas vraiment. Parce que la nature, celle que tu fréquentes, c’est la même que la mienne. Celle des balades en forêt, celle qui te blesse pas trop sauf quand les rivières sont énervées, celle qui est apprivoisée par des types qui coupent les arbres, qui balayent la poussière, et qui tracent des chemins que tu peux suivre.
Là, le type, il est en cavale. Tu sais pas pourquoi. Des moments du passé s’inscrivent, petit à petit, dans un coin de ton cerveau, et tu commences à imaginer des choses.
Le type, il a peur. Vraiment peur. Il a peur des autres. Il veut pas les croiser. Il veut même pas les voir. Il va vers l’eau, vers le lac, vers un mur.
Patrick, c’est un poète. Il a écrit un autre livre avec des poésies dedans. Je ne l’ai pas lu. Mais dans celui-ci, tu as des phrases qui te restent dans le cœur :
« Tous les sacrifices de sang remplacés par une croix et trois clous, comme si cela pouvait suffire. »
Parfois, quand tu lis, tu te rends compte que t’as du mal à respirer. C’est pas toi, c’est le livre qui prend tout l’air autour de toi.
Au fur et à mesure de ta lecture, tu mets des choses en place. Tu commences à imaginer pourquoi il est parti. Ce qui l’a mis sur ce chemin, avec le cabot. Parce que le type, il a le cabot qui le suit. Qui le précède souvent. Qui le regarde, qui lui parle avec ses yeux. Le cabot, peut-être que c’est sa conscience. Celle qui le ramène près de sa femme et de ses filles.
Celle qui le ramène au passé.
« On se voyait moins. On se regardait moins. C’était moins pire, de cette façon. Parce que dans ce monde qui nous forçait à adhérer à ses règles ou à crever – Tout en appelant ça de la liberté –, ce qu’il y avait de plus dur, c’était nous. Nous, ce témoin permanent qui savait exactement comment l’autre souffrait, et qui endurait en même temps la morsure humiliante de la compromission. »
Tu vois ce que je veux dire ?
Écrire sur le couple, il y en a plein d’autres qui l’ont fait. Plein. Mais j’ai rarement eu cette impression de partager des émotions avec une telle justesse. Comme si chaque mot avait été ciselé, poli, emboîté dans la phrase avec une précision telle que tu peux rien mettre à la place.
L’écriture à ce niveau-là, c’est de l’art pictural. T’as l’impression d’être devant une toile, et le mec qu’écrit, il peint.
Toi, tu regardes.
Tu découvres des paysages.
Tu rencontres une âme.
Quand tu lis la dernière ligne, tu respires, d’abord.
Pas parce que tu es en apnée pendant 180 pages, mais parce que lire des textes de cette force-là, ça t’oblige à manquer de souffle parfois.
« Je ne suis qu’un conglomérat de matière. Un tas d’atomes à qui l’on a appris à gesticuler en direction d’un univers sourd et aveugle. Un amalgame de viande qui n’est là que pour un temps, une chose avortée qui parvient à peine à se souvenir des rêves qu’il aurait voulu devenir. »
Tu y vois plus clair là ?
Il était sorti à La manufacture de livres, et peut-être qu’il est en poche aujourd’hui. J’ai pas regardé…
Ça veut dire que si tu vas chez ton libraire, tu peux l’avoir chez toi dans une semaine.
Et en plus, Écume, son autre roman, est disponible aussi…
C’est une bonne idée de lire l’autre après l’un.
Tu me crois ?
C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.
Nicolas.
Crocs, Patrick K. Dewdney, La Manufacture de Livres, 176 p. , 15€90.