Ils ne sont pas si nombreux en France, les auteurs capables de se renouveler comme le fait Antonin Varenne, de se remettre en question roman après roman. Découvert en 2009 avec Fakirs, son troisième roman (éditions Viviane Hamy), il n’a eu de cesse, depuis, d’élargir ses horizons, du pur noir au grand roman d’aventures américain (Trois mille chevaux vapeur – Albin Michel 2014) en passant par un roman survolté autour du monde de la course automobile (Dernier tour lancé – La Manufacture de Livres 2021). Si le noir semble faire partie intégrante de son ADN, sa jeunesse de bourlingueur le pousse à sortir des sentiers battus en littérature comme il l’a fait tout au long de sa vie.
On ne sera donc pas surpris outre mesure de constater qu’il a choisi de situer ce nouveau roman à Madagascar, destination plutôt rare dans le roman noir hexagonal (et dans le roman hexagonal tout court). Pour rappel, avec ses 587 000 km², Madagascar est la 4ᵉ plus grande île au monde et son territoire dépasse celui de la France. Son réseau routier, par contre, laisse fortement à désirer, mais son état de décrépitude se prête volontiers au « road-movie », un des genres au carrefour desquels pourrait se placer cette Piste du vieil homme.
« Vingt mille kilomètres de routes à Madagascar. Deux mille seulement sont goudronnés. De chez nous, Tamatave, premier port du pays, à la capitale Antananarivo, il y a trois cent cinquante kilomètres. Onze heures de route. Et c’est une partie goudronnée du réseau. Pendant la saison des pluies, multiplier les temps de trajet par deux ou trois. »
Le vieil homme en question, c’est Simon, soixante-dix ans et une vie bien remplie au compteur. La piste, c’est celle qu’il va emprunter dans l’espoir de retrouver Guillaume, son fils, qu’il n’a pas vu depuis plusieurs années et qui semble s’être embourbé dans une sale histoire. Simon, en vieux briscard habitué aux aléas du pays, va enfourcher un quad, embarquer le minimum nécessaire et partir dans un voyage qui ressemble fort à un baroud d’honneur. Le périple ne sera bien sûr pas de tout repos, mais les surprises et les rencontres, bonnes ou mauvaises, n’y manqueront pas.
Comme tout voyage, celui de Simon sera également intérieur, l’occasion pour lui de revenir sur sa vie, ses réussites et, surtout, ses échecs et regrets. Ce bilan et le constat qu’il en tire lui donneront la force de faire face aux galères de toutes sortes qui l’attendent à chaque instant de son expédition. Si le périple est aussi un prétexte à dépeindre avec une empathie toujours émouvante les conditions de vie d’une bonne partie de la population locale, Antonin Varenne en profite aussi pour dénoncer la corruption endémique du gouvernement et l’abandon justement ressenti par nombre de malgaches, réduits à diverses magouilles afin de pouvoir survivre. Mais on trouvera aussi dans ces 230 pages une déclaration d’amour à la nature et aux paysages de l’île, sorte de dernier paradis perdu où l’homme n’a encore pas eu le temps de tout saccager.
Humain, drôle et émouvant à la fois, parfois poignant, Antonin Varenne confirme une nouvelle fois ses talents de conteur et offre avec ce voyage au crépuscule de la vie d’un homme un récit bien loin des territoires habituellement explorés par ses contemporains, tableau amoureux et fidèle d’un pays où la misère et la beauté se côtoient constamment. Il dresse également le portrait d’un peuple qui ne peut compter que sur lui-même pour aller de l’avant et déploie des trésors d’imagination pour y parvenir.
« Maintenant que je suis vieux, je sais pourquoi l’avenir m’inquiète de moins en moins : parce qu’il y en a de moins en moins. »
Yann.
La Piste du vieil homme, Antonin Varenne, Gallimard / La Noire, 232 p. , 18€.