On avait ouvert la rentrée littéraire 2023 avec Copeaux de bois, d’Anouk Lejczyk, texte dont l’humour, l’énergie et la sincérité nous avaient immédiatement séduits. Toujours soucieuses de sortir des sentiers battus, les éditions du Panseur nous proposent cette année ces Terres promises, écrites par Bénédicte Dupré La Tour, soeur jumelle de Florence, dessinatrice reconnue. Confirmant avec ce livre la fibre créatrice déjà à l’oeuvre chez sa soeur, Bénédicte entre en littérature sans complexes et on peut espérer que ces Terres promises trouvent leur place au sein de cette période très dense qu’est la rentrée littéraire. sa pré sélection pour le prix du roman Fnac est en tout cas un signe plutôt encouragent.
Si la construction de l’ouvrage est celle d’un recueil de nouvelles, l’ensemble tend à prendre la forme de ce qu’il est convenu de nommer un roman choral. Sept textes, autant de narratrices et de narrateurs, entrecoupés de six lettres écrites par un homme sur le point d’être pendu. En choisissant le genre du western, Bénédicte Dupré La Tour profite d’un cadre et d’une époque profondément ancrés dans l’imaginaire collectif et y installe son petit théâtre cruel. Car s’il est une époque dont la violence n’est plus à prouver, celle de la conquête de l’Ouest et de la ruée vers l’or peut y prétendre sans complexe, même si l’histoire humaine, malheureusement, ne manque pas d’épisodes tout aussi sombres.
Dès le premier chapitre et le destin d’Eleanor Dwight, le ton est donné. Être femme à cette époque et en ces lieux vous condamnait presqu’automatiquement à n’être rien d’autre que le jouet de la volonté des hommes. Particulièrement noire, l’histoire de la prostituée Eleanor ouvre brillamment le roman et pose des jalons pour la suite. Si, comme on l’a dit plus haut, on peut considérer Terres promises comme un recueil de nouvelles, Bénédicte Dupré La Tour a su lui donner la cohérence d’un roman et, en changeant de narrateur ou en permettant au lecteur de retrouver certains personnages dans plusieurs textes, elle garde un fil narratif constant au long des 300 pages du livre.
Revisitant à sa manière tous les archétypes et les figures emblématiques du western (l’indienne en rupture de ban, l’orpailleur en train de perdre la raison sur sa parcelle, les pionniers dont le voyage tourne au cauchemar, le guerrier indien qui trahit les siens), l’autrice livre sa vision d’un monde en train de naître, « d’une nation qui naît dans le sang d’une autre », comme le dit très justement son éditeur. Ses pages bruissent de violence et de fureur, sentent la chair et la mort, exhalent des relents de vengeance et de trahison. L’homme y est rarement beau et la femme, pour trouver ou faire sa place dans cet univers dominé par des brutes, doit se montrer aussi rude, voire davantage.
Bénédicte Dupré La Tour surprend par la force et la noirceur de son récit, et la virtuosité avec laquelle elle fait se croiser ces destins qui n’ont rien à envier les uns aux autres. Tableau cruel d’une époque qui ne l’était pas moins, Terres promises porte avant tout un regard féminin, voire féministe, sur ces corps exploités au même titre que les terres et les rivières où l’on cherchait l’or jusqu’à se perdre soi-même. Si la colère est mauvaise conseillère, elle s’avère ici un excellent carburant pour tenter de rendre justice à quelques figures féminines auprès desquelles les hommes, toujours, finissent par chercher du réconfort quand la vie ne devient plus supportable.
Yann.
J’adore les Westerns ! Et celui-ci est vraiment génial, il aurait été tellement dommage que je passe à côté !
À travers une construction très habile, l’autrice nous entraîne au milieu du XIX e siècle et nous confronte à des destins tragiques. Chaque chapitre porte le nom d’un des personnages dont on accompagne la chute sur des terres tant rêvées mais finalement bien peu hospitalières.
Mais le problème vient-il vraiment de ces contrées où la nature peut se montrer rude ou des hommes et des femmes qui sont souvent arrivés jusqu’ici avec le fardeau d’un passé bien trop lourd à porter et d’une soif de renouveau illusoire ?
Nous passons de l’un à l’autre des personnages, comprenant peu à peu tout ce qui les lie. Un fil rouge entrecoupe chaque destinée contée : des lettres écrites par un jeune soldat déserteur expliquant à chaque destinataire qu’il sera pendu dans quelques jours et qui se livre sur ses sentiments tour à tour durs ou très tendres.
Nous parvenons à la fin du roman comme réconciliés avec toutes ces âmes tourmentées, bien conscients qu’ils n’avaient aucune chance face aux étendues sauvages et à leurs tourments intérieurs.
Un premier roman très impressionnant et passionnant.
Aurélie.
Terres promises, Bénédicte Dupré La Tour, les éditions du Panseur, 320 p. , 22€.
Dur de venir après ces chroniques. Mais j’ai été bluffée par ce premier roman. Et je partage tout ce qui est dit. A ne pas manquer
On est bien d’accord, c’est une belle réussite.