Quel bonheur de retrouver les mots d’Étienne Kern dans ce nouveau texte ! Sacrée étape que celle du 2e roman, surtout quand le 1er a été tant remarqué et qu’il a obtenu le Goncourt du Premier roman.
Je me suis sentie en terrain connu dès les 1res pages : Étienne s’empare à nouveau d’un personnage historique, provoque sa rencontre avec nous alors qu’il arrive à New York dans les années 20 à travers un très court film et, comme dans « Les Envolés », il intervient de temps à autre dans la narration pour tisser les liens qui se révèlent entre le sujet de son roman et une période de sa vie où la mélancolie survient.
Émile Coué. Tout le monde a entendu parler au moins une fois dans sa vie de sa fameuse méthode qui, si elle amuse aujourd’hui, a eu un succès incroyable au début du XX e siècle. L’auteur nous emmène sur les pas de cet homme qui avait l’optimisme chevillé au corps et qui a fait rayonner ses idées dans le monde entier. Ses grandes théories comme ses doutes, son charisme comme ses manières qui prêtaient parfois à sourire, Étienne Kern nous les dépeint avec sa plume tout en retenue et délicatesse, nous transmettant un peu de la chaleur du foyer fondé avec Lucie et du tourbillon qui l’attendait en dehors des murs de sa belle maison à Nancy.
Si l’auteur s’intéresse à l’homme, c’est bien sa méthode qui fait écho avec la façon de vivre de personnes si chères à son cœur et à sa manière à lui de faire face à la douleur de ses proches.
« Il faut y croire, pourtant. Toujours. La Méthode ne guérit pas, elle accompagne. Elle aide à surmonter. »
Et s’il en était de même pour la littérature ? Elle ne nous guérit pas mais elle nous aide à surmonter et on en est encore plus conscient à la lecture de ce beau livre.
Aurélie.
Il est toujours émouvant de voir naître, puis se construire, une oeuvre. C’est ce qu’il se passe à la lecture successive des deux premiers romans d’Etienne Kern, Les Envolés puis La Vie meilleure (tous les deux publiés aux Éditions Gallimard et dont le premier fut justement couronné du Prix Goncourt du Premier Roman), diptyque cohérent et touchant qui réussit l’exploit d’être impressionnant tout à la fois de résonance et de singularité. « Les envolés » nous conduisait dans la biographie imaginaire d’un homme ayant bien existé, Franz Reichelt, tailleur immigré venu de Bohême qui le 4 février 1912 avait tenté de sauter du premier étage de la Tour Eiffel avec un parachute qu’il avait lui-même confectionné ; Étienne Kern tentait de comprendre ce qui avait pu conduire cet homme à ce geste qu’il savait inévitablement mortel, tout en mêlant de façon bouleversante au récit l’histoire de ses propres envolés – les morts de sa vie.
Beaucoup de points communs unissent ces deux romans : nous retrouvons le contexte historique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle – marqués par la révolution industrielle et la foi en l’homme dans les progrès médicaux et technologiques – mais aussi par la première guerre mondiale et les catastrophes provoquées par l’Histoire sur les destins humains. Comme dans Les Envolés, Étienne Kern s’attache à combler par la magie romanesque (qu’il maîtrise à la perfection) la biographie d’hommes ayant existé – et à la différence de son premier héros, il fait entrer dans le cadre un personnage que tout le monde connaît, mais sans vraiment le connaître : Émile Coué, fondateur de la fameuse méthode que votre cerveau (si si j’en suis certaine) a utilisé plus d’une fois dans votre vie pour essayer de vous convaincre de quelque chose : il suffirait de se répéter une phrase en boucle pour que son sens se réalise un peu magiquement – le langage performatif à son paroxysme en quelque sorte.
Et c’est dans cette histoire passionnante d’un homme apparemment ordinaire qu’Étienne Kern nous entraîne : comment ce pharmacien nancéien, à la vie calme et tranquille passée auprès de Lucie, la femme de sa vie, est-il devenu l’un des hommes les plus célèbres du monde, que l’on s’arrachait en France mais aussi à l’étranger ? Pourquoi, dans un altruisme résolument impressionnant, a-t-il fait passer le bonheur des autres avant le sien propre ? Comment, en quelque sorte, est-il devenu le fondateur de ce que l’on appellerait aujourd’hui le développement personnel, malgré le scepticisme et les moqueries ? Et puis aussi (et peut-être surtout) comment, finalement, Émile Coué a-t-il peut-être, toute sa vie et à la manière des plus grands écrivains, célébré et rendu hommage au pouvoir et à la magie des mots en décrétant que ces derniers avaient le pouvoir de changer le monde ? Car ce livre, me semble-t-il, est avant tout une magnifique réflexion sur ce que peuvent le langage et l’écriture.
Et d’ailleurs, comme dans Les Envolés, l’auteur-narrateur s’invite dans son récit, tressant avec la vie d’Émile Coué ses propres souvenirs qui, à la manière du parcours de son héros, sont une réflexion sur ce qui semble la plus belle chose de la vie : la recherche de la joie. Tout ceci avec une écriture d’une délicatesse et d’une sensibilité rares – je vous mets au défi de ne pas finir le livre sans avoir les yeux humides…
Pas besoin de la méthode Coué pour vous convaincre de lire ce livre : foi de moi, je sais qu’il vous plaira !
Mélanie
La Vie meilleure, Étienne Kern, Gallimard, 192 p. , 19€50.