L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Bien-être, Nathan Hill (Gallimard) – Margot
Bien-être, Nathan Hill (Gallimard) – Margot

Bien-être, Nathan Hill (Gallimard) – Margot

L’exploration à la fois ironiquement éclairante, perspicace et émouvante d’un mariage moderne qui surprend, amplement et intimement :

Souvenons-nous de Nathan Hill et de la claque admirative que nous avions prise en lisant Les Fantômes du vieux pays. Et bien ce jeune prodige a pris son temps pour produire le suivant, mais il est là et il est ce qu’il promet : prenant, impressionnant, remarquable, fin !

Alors que Les Fantômes du vieux pays s’attaquait à l’héritage perdu du radicalisme américain des années 1960, Bien être se concentre sur une toile plus petite et plus intime, mais aborde sous différents angles de bien grandes questions, tout en n’hésitant pas à faire des sauts dans le temps et dans l’espace.

Panorama joueur avec le temps de la vie américaine, fresque aussi ambitieuse que captivante.

Ce nouveau roman invite le lecteur à s’immerger dans une histoire profonde, exigeante et constamment déstabilisante de vies mal orientées et de décisions prises en catastrophe. Celle d’un couple, notamment et de son fils tyrannique. Avec Bien être, l’auteur nous emporte dans un tourbillon d’émotions, un roman quasi philosophique sur le couple et l’éducation, Un livre foisonnant et passionnant sur l’histoire des croyances et des États -Unis,  qui décortique au passage l’Amérique populiste et ses réseaux sociaux, vraiment foisonnant d’intelligence et de maîtrise de l’art de la fiction romanesque.

Dès le départ, on est embarqué avec étonnement revigorant et éclairant. Une rencontre, dans tous les sens du terme, car Jack et Elizabeth, les personnages principaux, sont jeunes , étudiants pauvres et esseulés à Chicago mais se rencontrent comme une friction inattendue de deux électrons libres.

Chacun observe l’autre dans son appartement – en fait d’anciens entrepôts – qui se font face, au milieu d’un quartier déshérité, dans une ruelle non éclairée. Nous sommes en 1993 et, bien avant les appli de rencontres, les fenêtres qui se font face pourraient être des écrans de téléphone sur lesquels l’algorithme agit déjà comme un miroir un brin illusoire mais tentant. Alors que chacun est assis dans l’obscurité à regarder l’autre, tous deux ont envie de se laisser aller à glisser vers leur désir.

Lorsque les deux se rencontrent enfin dans un bar local, c’est forcément le coup de foudre. Même si  leurs rêves et leurs milieux divergent, ils sont convaincus qu’ils se sont choisis à bon escient, ainsi, leur « histoire d’origine » les conduit rapidement au mariage, puis à l’arrivée d’un enfant et au versement d’un acompte sur leur premier appartement.

Le mariage, vingt ans après : froid temporaire ou gel permanent ?

Vingt ans plus tard, il est devenu professeur vacataire d’art photographique à l’université et elle dirigeante d’une petite association de recherches en psychologie ; ils sont mariés, embourgeoisés, parents d’un petit Toby très difficile à gérer, et ont acheté leur « appartement pour toujours », qui est en construction.

Ils ont des idées d’aménagement très différentes, différences révélatrices de la façon dont ils envisagent l’avenir de leur famille. Ces « âmes sœurs » se retrouvent dans une courbe descendante des croyances, du désir, des certitudes. Et lorsque Elizabeth pense à concevoir deux chambres pour eux, donc faire chambre à part,

Car il ne s’agit pas d’une simple histoire de mariage raté ou déclinant au fil des années, non, même si le lien entre les membres de cette famille typique est sans doute ce qui prédomine tout au long des pages impossibles à ne pas tourner et qui constitue le début et la fin. Il s’agit aussi/surtout de lire les liens entre les lignes, sans complotisme, juste avec un regard très fin, celui de l’auteur, des histoires et leur part d’ombre,  de croyances erronées et de boniments, car c’est à cela que tout e une génération doit faire face, devenue adulte.  

Parmi les nombreuses pseudo- vérités dans ce livre assénées, il y a le culte de la santé. Bien-être est le nom qu’Elizabeth a adopté pour son cabinet de conseil en santé, situé dans la banlieue de Chicago. Bien être pourrait bien évidemment être bienpensance, bienveillance, bien bien partout, à consommer pour être représentés, aussi. Une illusion devenue universelle.

« Bien-être » propose des remèdes à base de placebos. La grande idée d’Elizabeth, post-doctorante, qui a travaillé à l’Institut d’études sur les placebos de l’université, aidant son professeur à démystifier les remèdes de santé à la mode en menant des études minutieuses en aveugle.

Mais il ne s’agit là que d’un des éléments d’un roman qui développe progressivement ses nombreux fils pour créer la pelote de mythes à démêler dans laquelle Jack et Elizabeth sont inévitablement empêtrés, comme tant et tant d’entre nous osons nous l’avouer, et desquels ils doivent se libérer, s’émanciper pour encore espérer un demain.

Une pelote de placébos à toute berzingue pour se bercer d’illusions face au réel ?

Ce que ce roman aborde est assez irrésumable, puisqu’il ouvre beaucoup de portes de relecture du réel ; déconstruire, désapprendre, décrypter le réel illusoire, cette société du spectacle consumériste,  on croise même avec un sourire à la française, grâce à la traduction, la fameuse French Theory à la Derrida qui prépare le terrain au wokisme, dont il est aussi question, ou encore les théories du complot ou les algorithmes – tout cela sans jamais être superficiel. Jamais. Tout un défi savamment relevé !

Photo D. R.

Une lecture sociétale, réelle, documentée, éclairante, armée de va-et-vient dans le temps qui nous permettent, en lisant, de comparer les émotions et événements auxquels les personnages sont confrontés de plusieurs façons, parfois opposées, ainsi est la pesée qui évolue et s’ajuste, avec le temps. Tout cela avec un réel talent qui fait qu’on sait, lecteurs, toujours où on en est, ne pouvant s’empêcher d’avancer.

La construction de l’intrigue est admirable, comme l’est la puissance d’analyse de l’auteur et la délicatesse de son style. Malgré la densité de l’information et l’extrême minutie pour construire la psyché des personnages, le roman n’est jamais pesant. Et souvenons nous que le temps est le troisième protagoniste du roman et le résultat est tout à fait  impressionnant et ouvrer de perceptions alternatives : il suffit de tourner la page pour en découvrir davantage.

On avance, on se sent liés, nuancés nous aussi, nous demandant si, au final, Jack et Elizabeth trouveront une réelle avancée ou un échec cuisant, dans cette Amérique là ?

Pour le savoir, lisons et suivons un conseil qui n’est sans doute pas tombé là par hasard :  « Croyez ce que vous allez croire, mais croyez-le avec humilité. Croyez avec curiosité ».

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Bru.

Bien-être, Nathan Hill, Gallimard, 688 p. , 26€.

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