L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Les deux visages du monde, David Joy (Sonatine) – Fanny
Les deux visages du monde, David Joy (Sonatine) – Fanny

Les deux visages du monde, David Joy (Sonatine) – Fanny

ll fait désormais partie de ces romans noirs me laissant dans un moment suspendu, au bord d’un vide, les yeux remplis de larmes et de colère. Puis cette gratitude de connaître des personnages comme Vess et Toya.

David Joy signe ici une nouvelle histoire, traduite par Jean-Yves Cotté, d’injustice, de culpabilité et de vengeance. Une histoire sculptée dans les collines de Caroline du Nord, comté de Jackson, un roman au pays de Faulkner, mettant les points sur les « i » des mots racisme, suprémacisme et crimes.

Cela débute au creux d’une nuit. D’un bord, Toya, jeune femme artiste venue rétablir des vérités, expier une colère et un traumatisme transmis au sein de ces familles noires américaines, descendantes d’esclaves, de lynchages et des lois de Jim Crow. De l’autre bord, un jeune homme échoué dans son break Chevrolet, ce gars en salopette venu du Mississipi avec cette croix gammée tatouée sur l’épaule droite.

L’obscurité pour débuter un roman noir, il n’y a rien de mieux mais il va falloir creuser plus loin, dans ces 432 pages où travaille l’esprit incisif de David Joy.

Le paysage, d’abord, comme un personnage, ce que dit la nuit et ce que fait apparaître le jour. Ce potager luxuriant entretenu par Vess, la grand-mère de Toya. La chanson de Nina Simone qu’elle fredonne, la ronde de sa petite-fille et leurs visages radieux. Moment fragile, précieux, fugace.

Toya est une femme engagée qui n’est pas là pour broder un patchwork mais plutôt mettre en scène ce qui dérange. C’est le rôle de l’artiste, aller poser des questions qui fâchent et tâchent.

Sur la statue d’un soldat confédéré niché dans le bâtiment central de cette petite bourgade apprêtée, Toya y laisse couler de la peinture rouge, « (…) c’était l’héritage, la plaie béante qui continuait de saigner près de cent cinquante ans après les faits. C’était le lynchage de Jesse Washington (…) C’était Emmett Till (…) C’était la mère d’Emmett exigeant un cercueil ouvert. C’était Eliza Woods(…) C’était les cent trente femmes lynchées par la foule entre 1880 et 1930(…) ».

Dans ce contexte où quelque chose de tourne pas rond au pays de Trump et Kamala Harris, David Joy met son talent à explorer la part sombre de sa contrée par le prisme du shérif Coggins, un gars du cru, ami de la famille de Vess, fervent pourfendeur des nostalgiques du KKK, détenteur de la paix sociale. Amen.

Dans ce territoire de champs, de forêts et de collines, Coggins doit composer avec ces graines plantées par la société suprématiste blanche, certaine de son pouvoir, petits chefs disséminés, adorateurs d’un capitaliste à la frange jaune comme leur maïs et à la langue de serpent prête à siffler ses troupes pour aller donner quelques coups de bottes ici et là.

En trois temps, David Joy dénoue ce nœud de serpents tout en nous nouant les tripes.

C’est implacable, acharné, totalement ADDICTIF.

Fanny.

Les deux visages du monde, David Joy, Sonatine, 432 p. , 23€.

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