Ceux du lac commence durant le plein été; liberté des corps, nature luxuriante, comme si rien ne pouvait avoir de fin au sein de cet îlot préservé du delta de Văcărești, Roumanie. Les Serban, Tziganes, y vivent en bordure de la rumeur grise de Bucarest.
Les enfants Serban n’ont plus leur « petite mère » pour leur ébouriffer les cheveux mais son esprit est en leurs cœurs, leurs corps sculptés par ce territoire, berceau de leurs vies.
Six enfants comme des Robinson, experts en débrouillardise et en pêche à la rivière. Sasho, l’aîné, le meneur, Marcus, Ruben accompagné de son inséparable compagnon à quatre pattes, Moroï, les jumeaux Aki et Zoran, puis la petite dernière et pas des moindres, Naya et sa chevelure comme un feu jaillissant.
Ce sont eux l’humanité en osmose avec le vivant.
Le père, au loin, enfoui dans ses vapeurs d’alcool et de tristesse, ne veut pas voir ce qui reste fragile, tangible. Car se rapproche inexorablement la menace, administrative, politique. L’histoire réelle rattrape et nourrit ce roman ensauvagé.
Romancière et journaliste, Corinne Royer déploie son talent pour écrire la violence de décisions arbitraires, loin de toute bienveillance. En 2016, cette zone devient une aire protégée, un parc naturel. Un bien pour un mal, l’expulsion de la famille Serban.
Les Tziganes, éternellement indésirables.
Ceux du lac se retrouvent parqués dans un bidonville, là où on ne veut plus les voir, ceux qu’on désigne comme fainéants, mouchards, trafiquants, voleurs. Corinne Royer déploie la tragédie, ce secret enfoui laissant s’écouler le poison, les esprits étriqués et revanchards, un français hébété, une réalité crue et bétonnée.
Ces enfants du lac, âme combattive lorsque tout se disloque et cette lueur, pourtant, persistante. Puis toi, accroché-e aux pages, à eux toutes et tous.
Ceux du lac quitte alors la luxuriance d’un été pour finir au cœur d’un hiver, dans l’infinie poudreuse s’ élançant dans les airs par l’effet d’un troupeau de bisons en constante migration.
« Nous marcherons les uns avec / les autres, les bisons des Carpates / avec les enfants du lac. / Nous irons d’un rythme sûr / et pesant, formant une seule / et identique empreinte. / Alors, nous nous murmurerons / à l’oreille des confessions primitives / et des poèmes vieux comme la peau / ridée du monde. /- Nous serons Rois en notre royaume. «
Fanny.
Ceux du lac, Corinne Royer, Le Seuil, 280 p. , 20€.