Ce roman est un de ceux dont j’attendais le plus la sortie en cette rentrée. Découvert avec le flamboyant Voyant d’Etampes, son second roman, j’avais très envie de revivre l’expérience d’un roman à la narration si précise et travaillée qu’en moins de deux pages, ça y est, je suis mordue.
J’ai pris mon temps pour ce titre qui, je crois, est encore meilleure que le précédent. Parce que pour tenir en haleine son lectorat sur quasi 500 pages en parlant d’effondrement, de mathématiques et des dangers de la croissance, il faut tout de même avoir un peu de talent. Et résumer le roman à ça serait beaucoup trop réducteur.
Inspiré par un rapport réellement sorti en 1972, Les limites de la croissance, l’auteur nous emmène à la suite du Rapport 21, écrit par quatre scientifiques ayant trouvé un moyen de prévoir l’imprévisible : si la croissance continue à ce rythme, à quoi ressemblera le monde dans 50 ans ?
Ce rapport, commandé par des gens avec le pouvoir de renverser la situation, fera un flop. Dans le sens, où il n’est pas pris au sérieux.
« Ils avaient accueilli les deux chercheurs très affablement parce qu’ils savaient qu’aucune vérité scientifique ne pourrait renverser cette chose si puissante : le désir d’accumulation qui consumait le ménage américain. »
Le roman d’Abel Quentin interroge les conséquences d’un tel écrit sur les scientifiques qui l’ont rédigé. Qu’ont fait de ces certitudes Mildred et Eugène Dundee les américains, Paul Quérillot le français et Johannes Gudson le norvégien ? Quelle vie ont-ils décidé de mener en sachant ce qui attend l’humanité ? Déjà passionnant, le roman ne se lâche plus quand Rudy, le journaliste prend la parole pour raconter son enquête sur le scientifique disparu (pour savoir lequel, lisez le roman).
Ce roman résonne évidemment avec notre société actuelle qui sait depuis fort longtemps mais qui refuse d’agir. Souvent sous les mêmes prétextes : l’argent et la population qui n’est pas prête à faire ce qu’il faut. Et la lectrice de se poser la question suivante : de quel côté je suis ?
« Il était effarant de lire un livre vieux de cinquante ans qui disait tout », réalise Rudy. Abel Quentin ne se gêne pas pour critiquer nos non agissements, nos laisser-faire, le cynisme des puissants (« quand on est riches, la vie des gens est une rumeur étouffée par la circulation »), nos aveuglements et notre capacité à faire l’autruche.
« Emprise invisible, mille fois plus sournoise que celle du fascisme. Contre elle, il était difficile de se révolter. Il aurait fallu, pour s’en libérer, nous révolter contre nous-mêmes ».
Cabane (dont on comprend le choix du titre au fur et à mesure) est un roman brillant, ambitieux et qui se lit avec un délicieux effarement. Quand allons-nous enfin cesser de se rapprocher du précipice en faisant comme si il n’existait pas ?
Hélène.
Cabane, Abel Quentin, Éditions de l’Observatoire, 477 p. , 22€.