Une histoire sensible, rock and roll et résolument culinaire.
Au fil des pages de Pleurer au supermarché (« Crying in H Mart ») traduit par Laura Bourgeois, et paru chez Christian Bourgois, sentir les délicates odeurs des plats coréens aussi puissamment que ressentir le lien unissant Michelle à sa mère, Chongmi.
C’est un parcours de vie que l’auteure arrive à nous rendre tout à la fois olfactif et visuel. Il se passe vraiment quelque chose de délicieux le long de ces pages, une transmission discrète sans rentrer dans le trop intime, une relation complexe à la mère sans trop en faire et cette atmosphère à la générosité culinaire semblant sans limite.
Dans Pleurer au supermarché, Michelle Zauner décortique sa filiation américano-coréenne, un feuilletage délicat composé de relations complexes à la génitrice, d’une adolescence rebelle, de l’amour profond lié à une grand-mère, d’un début chaotique de carrière musicale, du rapport lointain au père, de cette culture de l’entre-deux, jusqu’à la déflagration, le diagnostic d’un cancer agressif pour sa mère nourricière. Une alma mater dans toute sa puissance, cordon ombilical nourricier, lien par-delà tous les tourments, les questionnements et les rebellions.
L’amour entre ces deux là passent par une profusion de plats, de spécialités coréennes toutes plus alléchantes les unes que les autres. Leur fusion passe dans ces moments uniques, cet échange charnel et olfactif, de femmes en femmes, un héritage au-delà des mots et de leurs frontières.
Elle, la mère immigrée mais toujours émigrée, intransigeante et éperdue d’amour pour sa fille unique. Elle, la fille en ébullition, tiraillée entre deux cultures, marquée par sa différence ici ou là-bas. Et toi, au fil des pages, tu comprends et l’une et l’autre, attaché-e à l’humeur intime et virevoltante de ce roman peu commun. Tu y humes l’odeur des nouilles sautées, du bouillon d’os de bœuf, du kimchi, des gimbap… « Dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es. »
Pleurer au supermarché est d’une sincérité émouvante, chatoyante, un roman de vie mélangeant habilement déracinement, héritage gastronomique, filiation, silences et secrets, perdition et amour fou.
Un attachement au cœur.
« (…)Mon ambition était de révéler quelque chose de spécial à son sujet, que j’étais la seule à savoir sur elle. Qu’elle était plus qu’une mère au foyer, qu’une mère. Qu’elle avait sa propre personnalité spectaculaire. Peut-être que je dévalorisais de mon regard moralisateur les deux rôles dont elle était finalement la plus fière, incapable d’accepter que le même degré d’épanouissement puisse couronner celles qui se consacrent à l’éducation et à l’amour plutôt que celles qui cherchent à gagner de l’argent et à créer. Son art était l’amour qui lui survit chez ceux qu’elle aimait, une contribution au monde tout aussi monumentale qu’une chanson, ou un livre. (…) »
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Bourgeois.
Fanny.
Pleurer au supermarché, Michelle Zauner, Bourgois, 320 p. , 22€.