Quand Sandrine Collette sort un roman, j’ai un peu tendance à me précipiter. C’est comme ça. Chacun de ses romans, ou presque (je dis ça pour ne pas sombrer dans l’adoration qui est parfois ambiguë), m’a permis de toucher du doigt une écriture que, sans doute, Buk aurait validée (je crois)…
Sandrine Collette est loin du parisianisme et des dîners en ville. Ce qui sous entend que son boulot de conseillère municipale du petit village où elle vit (celui où elle est née) ne l’occupe pas tout à fait à plein temps, et que l’écriture, en revanche, est liée aux grands arbres qui peuplent son quotidien.
Je te fais grâce de son doctorat en sciences politiques, et de son master en philosophie… Je te fais grâce aussi de sa capacité à retaper des maisons…
J’avais croisé, il y a quelques années, une amie à elle. Une amie qui la connaissait bien (c’est le propre des amis) et qui lui ressemblait étrangement, au point qu’en la voyant devant un de ses romans, je l’avais un instant confondue avec l’auteure de « On était des loups »… Cette amie m’avait gentiment expliqué que Sandrine Collette était inarrêtable, quand elle avait commencé quelque chose.
Inarrêtable.
Tu te souviens de son dernier roman ?
Alors tu te souviens aussi de la place de la nature au sein de ses pages.
« Madelaine » vit quelque part dans le passé. Tu ne sauras pas vraiment de quel passé il s’agit, ni de quelle région non plus. C’était avant, et quelque par donc. Ce quelque part, ça s’appelle « les montées » et tu vas y croiser Eugène et Jéricho, Aelis et Ambre, Rose et Bran, et puis Léon, ceux du village, donc, et puis les Ambroisies, le père et le fils, ceux du château…
Alors un roman social sur le rapport au pouvoir ?
Sans doute.
Sur l’asservissement lié au mépris que confère l’argent à ceux qui en ont plus que suffisamment ?
Sans doute aussi.
Et bien sûr que ça va te rappeler quelque chose. Quelque chose que tu croises tous les jours quand tu sors de chez toi.
Quand tu vois la condescendance dont font preuve ceux qui nous « gouvernent » et qui ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, disait La Boétie.
La vie de ces paysans dont tu as entendu parler il y a quelques semaines. Ceux qui ont osé bloquer les routes et remettre en question les décisions de gens qui sont incapables de faire pousser une salade…
Ceux qui ont osé se plaindre de ces grosses entreprises qui leur achètent pour pas grand-chose les produits qu’ils ont tirés du sol, à coup de bêche, de sueur, de pleurs et de fatigue.
Ceux dont on parle chaque année parce que l’été est trop sec et que l’hiver est trop froid.
Ces gueux qui se plaignent tout le temps.
Alors un roman sur la terre, celle de Zola ?
Non.
Zola parlait des pauvres qu’il côtoyait chaque jour. De lui, on disait qu’il traînait le peuple dans le caniveau.
Ce n’est pas le cas de Sandrine Collette.
Pour être tout à fait transparent, ce roman est une réécriture. Un texte commencé et laissé de côté. Elle a décidé de le reprendre, et surtout, d’en réécrire la quasi-totalité.
J’ai lu quelque part qu’elle avait hésité, puis que quelque chose l’avait fait changer d’avis. La lecture d’un article sur les grands hivers.
L’hiver, c’est souvent triste. Triste parce que même si on s’imagine que la neige c’est chouette pour aller faire de la luge, quand tu n’as plus rien à manger et que tu dois mélanger de la terre à la farine pour avoir quelque chose sur la table, les lendemains chantent faux.
Ça aussi, ça va te faire penser à ce que tu connais. À ce que tu croises quand tu jettes un regard circonspect sur ce qu’ils disent dans la télévision.
Même si, comme disait mon grand-père, si c’est dans le journal, c’est que c’est un mensonge.
Tu vas avoir du mal à sourire en découvrant ce que Sandrine Collette te donne à lire, à voir. Mais n’est-ce pas le propre du roman de t’emporter vers un ailleurs où ton imagination va se heurter à la réalité ?
À cette réalité où les graines ne germent pas quand le gel les a blessées.
À cette réalité où les enfants ne grandissent pas quand leur imagination est remplacée par le besoin de trouver à manger.
À cette réalité où les taiseux font face à des mots qui ne veulent rien dire…
Et là encore, ça va te rappeler quelque chose.
Tu vas sentir le poids du ciel, celui dont parlait Baudelaire, « qui pèse comme un couvercle », le même que celui que certains affrontent, chacun des matins de leur vie.
Alors bien sûr, d’aucuns, les sachant de la littérature, y verront un roman rural, voire « rural noir »…
Parce que l ‘écriture de Sandrine Collette, comme dans tous ses romans, est juste parfaite, et que la nature y est décrite au point que tu vas marcher sur les terres gelées et essayer d’aider ces paysans à en tirer quelques plantes, et un peu de pain.
Un Chef italien, en hommage à ceux qui n’avaient rien à manger, rien à mettre dans les assiettes, a imaginé un plat de pâtes, avec des galets qu’il ramasse au bord de la mer… Des galets dont la mousse marine donne aux pâtes une saveur particulière…
Alors si on arrêtait de ne voir que les mots ?
Si on écoutait la musique liée à cette écriture tellement singulière ?
C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman de Sandrine Collette.
Nicolas.
Madelaine avant l’aube, Sandrine Collette, éditions Lattès, 252 p. , 20€90.