« Le travail de fouille est presque achevé. On est arrivé à un croisement : le chantier de terre va devenir le chantier de pierres, des parpaings, des « agglos » comme on dit ici. Le temps de changer d’outil, d’assurer nos prises, de refaire nos provisions : une montée nous attend, une voie d’escalade. Une pioche m’a servi jusqu’à ce passage. Une pioche ou un bâton, je ne sais pas. Plutôt un bout de bois mais à l’étrange pouvoir : capable de mener un homme jusqu’à la cassure et de lui montrer des hommes dans cette cassure ! Un vertige mais qui soulève au lieu de faire tomber. Et là-haut : c’est le gouffre. On aperçoit ce que font les hommes mais reflété, déformé. Il faut vraiment du temps pour comprendre que c’est le fer cintré de la pioche qui nous reflète, que nous sommes sous une arche. »
Ceci n’est pas un roman, comme son titre l’indique c’est un journal. Mais pas n’importe quel journal. Un journal écrit par des mains calleuses et ravinées, des mains qui parlent d’un monde dont on détourne si souvent le regard.
En exergue, ceci, ça pose le ton et le décor : J’habite un monde sans trace et seule reste la mémoire de mon souffle. Proverbe touareg.
Thierry Metz est un manœuvre, soit. Mais en écriture, c’est un architecte. Un poète-architecte. Du 16 juin au 1er septembre il construit un récit quotidien et précis, où les petits gestes accumulés font les grandes choses. Il possède cette faculté de voir ce qui est et de discerner ce qui se cache derrière, la beauté fugace ou permanente, la grâce d’un geste de travailleur, la lassitude des fins de journées, lorsque la fatigue est telle que même des mots ne peuvent dire. Mais Thierry Metz les trouve quand-même, ces mots.
Ce journal, c’est l’histoire de millions d’êtres humains sur la planète, c’est la beauté tissée dans la sueur et l’éternité d’une journée harassante et répétitive. Ce sont les petits plaisirs qu’on invente entre les fournées de sable et de ciment, ce sont les parenthèses attendues comme des oasis, ces pauses, café, fraîcheur, repas, ces moments comme des cathédrales, on y échange des mots simples, on ne triche pas, parce qu’on porte ses pensées sur sa figure, en sinuosités de rides et de perles de transpiration.
Dans la poussière des travaux du bâtiment, ne subsiste que l’humain, avec ses évasions durant l’ouvrage, il travaille mais il rêve, à l’instar de Joseph Ponthus à la ligne.
Pas la peine d’en dire davantage, lis ce livre, celui d’un manœuvre qui poétise tout ce qu’il touche et regarde, qui invente de la douceur sous la pointe de la pioche, qui pose des mots pour dire son rapport au monde, ce grand décalage entre ce qu’il est et ce qu’il fait, ce qu’il ressent. Le grand décalage entre le travail de poussière et la vie conjugale, les dimanches qu’on tente de retenir pour tenir les lundis à distance.
Thierry Metz est parti bien trop tôt.
Seb.
Le journal d’un manoeuvre, Thierry Metz, Folio, 128 p. , 9€40.
C’est vrai c’est un peu comme dans le livre de Joseph Ponthus.
J’ai entendu parler de cet auteur avec ”L’homme penché ”.
Je note Journal d’un manœuvre.
Erratum”L’homme qui penche”.