Une déflagration.
Un récit remarquablement articulé où la voix de ces disparu-e-s résonnera encore longtemps dans les limbes d’une histoire que certain-e-s préfèrent encore taire.
Emilienne Malfatto et Rafael Roa signent un ouvrage remarquable aux éditions du Sous-Sol ,une fenêtre sensible mêlant textes et photographies, sur le sort des centaines d’enfants volés, de femmes violées et torturées, d’hommes décharnés jetés nus d’un avion au-dessus du Rio de la Plata, durant la dernière dictature en Argentine (1976-1983).
C’est une histoire touchant au cœur même de ce qui nous reste d’humanité, une mise en abîme de ce qui se passe actuellement dans ce pays, et dans d’autres, l’arrivée sournoise d’un état dictatorial.
« La poussière sous le tapis/ et sur les murs les affiches du candidat aux yeux glacés / (devenu président depuis) / l’homme-venin / cet homme qui fait peur qui en rappelle tant d’autres / dans des pays très loin / ou plus proche / Bien sûr qu’il est négationniste m’a dit l’autre jour / quelqu’un / qui avait un peu l’air gêné / il est négationniste mais je vais quand même voter pour / lui dimanche prochain / même si.(…) »
Cette lecture dans un souffle de L’absence est une femme aux cheveux noirs (…) pour garder le même visage / pour que le frère disparu puisse la reconnaître / dans la foule / si un jour il revient (…) »
Emilienne Malfatto et Rafael Roa t’entraînent dans leur déambulation, au milieu des mères et des grands-mères portant le symbolique foulard blanc, ne cessant leur marche sur cette Place de Mai.
C’est une errance dans Buenos Aires tenue entre des mains délicates, vers ses souvenirs douloureux, des questionnements, vers ce qui touche au plus près du travail de l’auteure, photojournaliste indépendante – rappelle toi, notamment, « Le colonel ne dort pas » -, les questions sociales, de post-conflit, un aspect intime portant en son cœur ce quelque chose d’universel, le partage de la douleur des mères.
Cinq cent bébés volés, toute la machinerie autour des trente mille disparu-e-s, le siège silencieux des femmes.
La famille n’est pas imperméable à l’histoire.
« C’était l’École de mécanique de la Marine, la Esma. Cinq mille personnes furent détenues et torturées dans les installations clandestines de ce grand parc, dans les griffes du tigre, le long de l’interminable avenue Libertador, en plein quartier résidentiel, en plein Buenos Aires. Avec la vie tout autour, les cafés, les matchs de foot, tiens le Mundial 78 se joua à 800 mètres de là, au Monumental, le stade mythique du River. Et les cris de joie dans le stade et le hurlement à l’intérieur et le tigre qui dévore, les longues griffes du tigre Acosta, pourquoi ce surnom, on raconte qu’il lui avait été donné par un instructeur français, Acosta, grand maître de la mort et de la vie dans ce bâtiment bas où on torturait en technique.(…) »
Anéantir les « rouges ».
L’absence est une femme aux cheveux noirs est une en-quête éperdue emmenée par une plume sensible, au plus proche de celles et ceux confronté-e-s au gouffre béant d’un-e proche disparu-e dont on a confisqué l’histoire.
Nécessaire.
Foncièrement inoubliable.
Fanny.
L’absence est une femme aux cheveux noirs, E. Malfatto et R. Roa, éditions du sous-sol, 168 p. , 22€.
Eh bien…À lire sans aucun doute. Merci