Ce roman marque par sa part d’humanité intense au milieu d’une constellation de destinées marquées par la solitude, avec ce petit je-ne-sais-quoi me faisant penser à l’écriture de Jean-Paul Dubois, oui, rien que ça, cette précision là sur les âmes esseulées et pourtant vaillantes.
Notre narrateur se rend dans la ferme isolée de feu son père, disparu prématurément. Cet homme devenu taiseux, ancien rugbyman, être au sens pratique et à l’allure rustique.
Au sein d’une bâtisse où résonne le bruit des souvenirs, notre personnage fait le deuil, fait le tri. Solitude contre solitude, il nous donne à ressentir ce qu’il reste de la relation père / fils mais aussi de ce que furent ses aspirations littéraires – avant d’être journalistiques.- en redécouvrant une pochette lui appartenant, que son père gardait précieusement au fond d’une solide armoire.
Nous plongeons ainsi dans ces rencontres au Café Jaune.
Jacques, l’ancien professeur rendu à faire la manche en-dehors de tout stéréotype du genre, gardant au creux du ventre, sa dignité au milieu du monde pressé. Jean-Paul, alcoolique, hyper conscient de chaque étape de son délitement; élément flottant d’une réalité abrupte. Anne dont une cicatrice adolescente ne se referma jamais, qui, le jour de ses quinze ans, pris une décision radicale pour sa vie. Et « Ce dernier automne » où un vieux paysan fait le tour de sa ferme comme il aura fait le tour de sa vie, avec ce regard tendre sur les choses immuables, puis ce temps qui passe pris entre ses deux grandes paluches comme s’il caressait encore sa chienne mourante.
Entre ces moments, l’auteur tisse un lien avec ce fils en deuil du père, Henri, sans larme, avec beaucoup de justesse, sur un territoire vaste comme peuvent l’être aussi les solitudes.
L’intime déborde du cadre, sans pathos, et nous attache puissamment le cœur.
« J’ai retrouvé rapidement les gestes que j’avais vu effectuer tant de fois. Je montai le feu en augmentant le tirage, retirai les plaques de cuisson circulaires, posai une poêle dans l’espace rond qui dévoilait les flammes. Bientôt les œufs ont grésillés. J’y ai ajouté une tranche de jambon et coupé un bout de fromage. J’ai dîné rapidement. J’en avais presque terminé mais ne pouvais me résigner à brader les livres. J’ai gardé tous ceux qui ravivaient un moment passé, un instant de lecture, tout ce qui me ramenait à un monde évanoui. (…) «
Fanny.
Parmi d’autres solitudes, Yves Harté, Le Cherche-Midi, 176 p , 19€.
C’est le livre qu’on aimerait avoir écrit !