L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
L’heure bleue, Peter Stamm (Bourgois) – Margot
L’heure bleue, Peter Stamm (Bourgois) – Margot

L’heure bleue, Peter Stamm (Bourgois) – Margot

Un nouveau livre de Peter Stamm, c’est toujours une étincelle de plaisir, surtout quand celui-ci est légèrement différent des précédents, sans l’être tout à fait.

Depuis une dizaine de romans, Peter Stamm s’est construit une solide réputation : ses livres explorent souvent le quotidien de gens s’interrogeant sur le sens de leur vie. En 2018, La Douce indifférence du monde mettait en avant un homme confronté à son double, interrogeant par là les regrets et les choix d’une vie. Plus récemment, Les Archives des sentiments faisait rencontrer un homme avec la femme qu’il avait longtemps aimée, en pleine période de pandémie. Peter Stamm a le chic pour décrire des situations banales dans une langue simple pour poser des questions métaphysiques sans aucune lourdeur.

Entre le vide et le silence tout peut surgir, surtout l’inconnu : un récit à la fois touchant, poétique, intime et universel, tout un talent redéployé

L’heure bleue est une histoire où il est question, entre autres, de création, d’art, d’existences lues en strates, de sentiments, d’écriture et de livres, d’un amour retrouvé, jamais oublié, comme une clé de lecture de soi, tout cela autour d’Andrea, la narratrice, réalisatrice de films documentaires d’une quarantaine d’années.

 Dans L’Heure bleue, Andrea et son petit ami Tom, deux cinéastes quadragénaires, rencontrent dans une expo le célèbre romancier en fin de carrière. D’un commun accord, ils décident de faire un documentaire sur sa vie, son œuvre, en le filmant d’abord à Paris où il vit depuis des années, puis dans son village natal. D’emblée, il est clair que Wechsler n’est pas très enclin à se confier, du moins face à la caméra. Ils commencent malgré cela à tourner un documentaire consacré au grand écrivain .

La vie de cet homme, partagée entre la Suisse où il a grandi, et Paris, pour les années de formation intellectuelle, conduisent nos deux documentaristes à vouloir interroger le réel de Wechsler., sa vie, ses liens, ses connaissances, de manière à en tirer un portrait le plus juste et le plus nuancé possible. Par un jeu de miroir, Andrea tente de saisir ses différentes facettes. 

Le travail commence par des conversations dans des cafés et des promenades le long de la Seine avec cet auteur dont Andrea se surprend à apprécier la compagnie. Il s’agira ensuite de se rendre dans le village natal de l’écrivain, en Suisse, pour d’autres entretiens et des images de paysages en décor. Mais au rendez-vous, l’auteur ne se présente pas sans même donner de raisons.

Photo : Jule Kuehn.

Face à cette absence, cet échec possible du projet, Andrea doit se contenter d’indices trouvés dans ses livres mais aussi de rares rush pour obtenir des réponses à ses questions. Ayant flairé un possible secret troublant, via une allusion à un amour de jeunesse de Wechsler, Andrea rencontrera Judith, pasteure, cette femme qui pourrait bien être la muse de l’auteur, inspiratrice d’un personnage qui revient sans cesse dans ses romans, avec laquelle Andrea nouera un lien amical salvateur, tout en l’interrogeant sur sa relation avec Wechsler, dans la période étrange qu’elle traverse.

Car Andrea perdra travail et petit ami, mais pas l’envie de savoir et de faire sens de la vie. Car c’est aussi cela, l’histoire de l’heure bleue, cet entre deux, ce pas de côté entre ombre et lumière, crépuscule : c’est l’expérience d’un échec, un film raté qui ne verra pas le jour, et un arpentage aléatoire comme tentative de ré-inventer sa trajectoire de vie

Peter Stamm poursuit ainsi dans L’heure bleue son exploration du réel avec ce ton à la fois si juste et sensible, où l’ironie se distille avec délicatesse, l’écriture comme un jeu en intelligence avec le lecteur, jusqu’à la narratrice qui semble au fil des pages prendre conscience de sa propre ambivalence. Car Wechsler n’est pas vraiment le centre de cette histoire, c’est plutôt Andrea.  Et Judith. Et le temps. Et nous, lecteurs, je crois.

Peter Stamm cisèle encore une fois un récit fascinant qui suscite la curiosité et la réflexion grâce à des jeux de doubles et d’illusions, la réalité et la fiction se confondant. Chez Peter Stamm rien n’est évident, et c’est ce qui rend tous ses romans passionnants.


« Peut-être que pour pas mal de gens, la littérature remplace même la religion. »

Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses.

Margot.

L’heure bleue, Peter Stamm,éditions Christian Bourgois, 234 p. , 21,00 €.

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