
Il y a quelques jours, j’ai lu ce livre-là.
Et je l’ai trouvé magnifique. Puissant. Et délicat.
Puissant et délicat, c’est ce que je trouve à chaque fois dans les textes de Cathy Ytak. Souvent. Ici particulièrement.
Elle a une finesse, que je n’ai rencontrée nulle part ailleurs je crois, pour dire.
Dire les différences, les décalages intérieurs, les émotions, en vrac ou pas, les mots qu’on se lance, qu’on se jette, qu’on retient, les fracasseries quotidiennes. Les adolescences.
Et derrière, en filigrane discrète mais bien campée, la liberté. La liberté à être. Les libertés d’être*. Le droit à être, appelle-ça comme tu veux. Sans pamphlet, sans démonstration, mais bien présent. Et indéboulonnable. Comme le respect. Absolu, indéniable. Qui fait l’essence de Cathy. Roseau plutôt que bulldozer, tu vois ?
Petite pousse saxifrage, vent debout. Pas de harangue, juste un « je pose ça là, c’est comme ça là ».
Dire les différences, poser des mots sur des réalités, et certainement pas à la manière d’un dictionnaire. Elle n’explique rien. Et « raconter » ne me convient pas non plus. C’est plus subtil je crois. Funambule sur son fil. Il est haut son fil, elle voit loin, avec acuité. Elle dit. Elle écrit, et ça dit.
La première fois que j’ai rencontré les mots de Cathy Ytak, c’était avec Rien que ta peau (collection -magnifiquissime- D’une seule voix, Actes Sud). Ce texte m’avait bouleversée. Profondément touchée. C’était il y a des années, j’y pense encore souvent. Tu sais, ces textes qui t’apprennent quelque chose, sans jamais l’intention de vouloir le faire, jamais (jamais hein!), mais qui mettent au jour, l’air de rien, des petites pierres comme un pavé sur ton sentier. Tu t’appuies dessus.
Je redis : pas un pavé de bonnes intentions, un pavé de vie. De vies.
Il y avait déjà l’écriture des sens, il y avait déjà -c’est dans le titre- la peau.
Ici aussi il y la peau, et tous les sens, exacerbés. Les bruits, les sons, les couleurs.
Trop forts, trop violents. Trop ? Et comment tu te construis une vie, comment tu te construis tout court quand tous tes reliefs sont escarpés.
Ici aussi il y a les petits cailloux blancs de Cathy, que je suis avec sourire. J’aime bien ce côté Petit Poucet que ça me fait : une musique, un livre, la langue des signes (c’est toujours une histoire de langue). J’aime les retrouver. C’est une cartographie délicate et jolie, et je trouve que Cathy fait des tricots de peau avec ses mots justement taillés pour y randonner.
Vieillir, je le vois comme des Matriochkas, des poupées gigognes. Tous nos âges imbriqués les uns dans les autres. Je crois que Cathy a la matriochka des jeunes années, (tu sais, au sortir de l’adolescence) vibratoire.
Je ne sais pas si ses livres sont traduits, beaucoup traduits, s’ils le sont dans beaucoup de langues. En refermant son livre, je me suis juste dit Quelle chance, mais quelle chance, de pouvoir la lire. Quelle chance que sa langue d’écrire soit ma langue de lire.
C’est un texte court, il est en lice pour le prix Vendredi. Il ferait du bien à toutes les étagères (si tu ranges tes livres dans des étagères).
Quand je l’ai reposé, j’ai soupiré (j’ai l’habitude maintenant) : il y a des fois où vraiment je regrette de ne pas être prof de français. Qu’est-ce que j’aimerais leur lire !
[tu la sens ma grosse incitation?]
Sans armure, Cathy Ytak, collection Ego, Talents Hauts, 64 p., 7 €.

Libres d’être, c’est aussi un texte qu’elle a écrit avec Thomas Scotto, aux éditions du Pourquoi pas ?

Quelle portée ! Quelle puissance ! Et quelle humanité. Quelle juste et précieuse humanité.
Qui réveille.
Avril 2014, quelque part je pose ces mots :
Avant le jour d’hier, au début de ma nuit, j’ai lu Rien que ta peau. J’en suis soufflée. J’en reste soufflée.
C’est toujours délicat de parler d’un livre qui te touche fort. Pour les attentes vertigineuses que tu peux provoquer et leur lot de petites, ou grandes, déceptions. Je me sens soudain une grande responsabilité.
Je me laisse aller, et je te dis.
Cathy Ytak donne sa voix et sa plume à Louvine. Elle ne parle pas à sa place. Elle fait don de son intelligence sensible, si sensible. Et Louvine te raconte. Se raconte.
Au dos, sur la quatrième de couverture, tu apprendras que « elle est lente, obsédée par les couleurs. On la dit immature, voire idiote« . Oui, peut-être est-elle un peu demeurée, légèrement attardée. On ne sait jamais bien jusqu’où, n’est-ce pas ?
Et Louvine est. De chair et de sang. De désir. Et Louvine est douée de décision. N’en déplaise aux gens, n’en déplaise au monde. Contre toute attente. Mais lesquelles d’attentes, hein ? Celles de qui ?
Il y a les vrais mots pour dire le corps, ses cycles, ses envies. Naturellement et simplement. Il y a les mots pour dire les dehors, la neige, les oiseaux. Il y a les mots pour dire, et plus tu lis et plus tu as envie de dire ces mots sous tes yeux. Ça vient tout seul. Naturellement et simplement.
« Mais me dépêcher, je ne sais pas. Quand tout va trop vite, je ne sais plus. »
« Dans tes yeux je vois la peur et tout le bruit autour, les chiens qui aboient, les hommes qui mordent, et notre beau silence éclaté, sali, souillé. »
« Hurler, c’est pire que parler, ça répond au désordre par un autre désordre et les chiens n’aiment pas ça. Et moi, je vais hurler, parce qu’il n’y a plus de place pour les mots, les explications, et que je ne sais pas pleurer. je laisse ma tête monter vers le ciel étoilé, vers la lune même pas pleine, le temps d’une goulée d’air glacé dans la gorge qui descend jusqu’au cœur. »
« Je me suis mise à rire, tu t’es mis à rire. Et quelque chose a bougé dans mon ventre. je n’ai pas bien compris ce qui se passait. Je me suis demandé si ça n’était pas mes règles, mais ça n’était pas du tout la pleine lune, rien qu’un premier quartier. Après, j’ai compris que c’était ton rire qui avait remué quelque chose dans mon ventre, et petit à petit je me suis habituée à cette sensation douce et agréable. »
Rien que ta peau, c’est un des trois textes que Cathy Ytak a écrit pour la collection D’une seule voix, aux éditions Actes Sud Junior.
Des textes d’un seul souffle, est-il écrit. Des textes à dire, à partager avec soi et le monde. Ce sont des textes destinés aux ados et aux jeunes adultes. Mais pas que.
Ce sont des monologues intérieurs, dans un format et dans une typo qui permettent une lecture à voix haute aisée. C’est une collection que je trouve tellement riche et je ne comprends pas qu’elle ne soit pas plus connue, mieux connue. Non, vraiment, je ne comprends pas.
C’était avril 2014, Rien que ta peau venait d’être réimprimé dans le « alors » nouveau format de la collection, et je trouvais que c’était tant mieux.
Gaëlle.
Rien que ta peau, Cathy Ytak, collection D’une seule voix, Actes sud Junior, 72 p., 9 €
