Un roman qui a des airs de biographie, des airs seulement, mais aussi les chansons, et qui nous fait plonger dès les premières pages vouées à un personnage devenu iconique.
Alain Pacadis; « Paca », tout le monde voit qui c’est… Connu pour son exubérance, le «reporter de l’underground», celui qui avant tout le monde et mieux que quiconque avait su capter l’énergie du punk et l’amener jusqu’en France, chroniquer les nuits folles et scintillantes du Palace, embarquant tout lecteur avec lui de concerts branchés en soirées disco décadentes, marquant de son empreinte l’exubérance de la mode et les folies du nightclubbing. Les années 80, quoi.
Comme tout être intense, il avait différents visages dont un, plus intime, plus réservé, moins connu, puisque moins mondain. Une face B que ce roman nous offre en évitant la biographie amalgamant les stéréotypes, en nous plongeant dans une vie trouble, claire, touchante, via une écriture étonnante, incroyablement vibrionnante.

Une documentation hautement stylisée et maitrisée, qui narre presque visuellement et rythmiquement toute une époque et nous plonge dans le Paris nocturne et musical d’il y a quelques décennies pour rappeler la vie de ce journaliste gonzo pour Libé, influenceur avant l’heure, dandy mélancolico glam-punk, jouant avec la vie et l’underground parisien, à grands renforts de substances en tous genres, flirtant avec les limites, le stupre, les nuits fiévreuse, les marges, et la musique rock et punk.
Le parcours d’« un jeune homme chic », c’est le titre de son livre, qui l’a amené à être invité d’ Apostrophes, en perpétuelle recherche d’une quelconque vérité ou d’une illusion qui puisse être une base pour être et l’accepter. Simplement être. Avec un cheminement, volontairement hors normes; une plongée dans le Paris interlope, des fréquentations parfois détestables, souvent substantielles.
Des dialogues, des voyages, de la rage de vivre, de fuir, une errance, une vie scintillante, ratée, touchante, rythmée
Une époque révolue. Mais. Un rappel littéraire. Très. Retracer la vie d’Alain Pacadis, c’est sans conteste évoquer toute une atmosphère, la détailler, tout en sensibilité, en poésie, aussi, parfois brute, parfois juste et belle. On entre avec Alain Pacadis jeune, puis moins jeune, au Palace et aux Bains Douches, escorté par une joyeuse bande de freaks, on ressaisit l’extravagance vécue, on l’accompagne nous aussi en lisant, replongeant volontiers dans cette folle errance nightclubante, tant le personnage ainsi narré fascine encore.
On entre dans ce livre par un prologue et la loge du disquaire du Palace. On lit et on a la sensation d’être en train de découvrir ce lieu incontournable : le Palace, d’observer tous les objets et d’aimer retrouver la musique de l’époque et les célébrités, cette faune engagée et ensauvagée . Lui, reconnait, voit tout, et prépare ses papiers, qu’il a en tête, et qu’il écrira « après avoir vérifié – ou pas – les citations de Deleuze ou Guatari ».
Il est le Dorian gray de tous les night clubbers, alors on est pris, follement grisés mais bien accompagnés, tous les sens en éveil, Et on embarque. Via ses mots, aussi. Visionnaires, vibrionnants, éructants.
« Si un jour au XXIe siècle, quand je serai mort et enterré, rongé par l’alcool et l’héro, quelqu’un parle encore du Palace, ce sera grâce à moi, rien qu’à moi. Je suis le prince du Palace. Et vous, vous êtes quoi ? Vous êtes rien ! Vous êtes beaux et vous dansez bien ? Et alors ? Personne ne le saura, quand les asticots vous boufferont les entrailles, à part si moi, Alain Pacadis, je l’écris dans une de mes chroniques… « Dinah dansait comme une déesse hindoue sur la piste du Palace, ses longs cheveux noirs ondulant sur ses fesses étroites… Sans moi, vous n’existez pas. »
Une errance temporelle et noctambule commence en février 1968, « Vivre », jusqu’en 1986, « Survivre ».
Un roman en deux parties passionnantes, chronologiquement mais pas seulement. Une vie relatée telle que vécue, fragmentée, écorchée, vive, résonnante, même quand trébuchante.

Avec un entracte, un aparté où le narrateur lui même s’insèrere dans cette vie romancée, parvenant étonnamment et réellement à cerner la personnalité de ce Gonzo parisien historique et iconique tout en traçant de manière très vivante un tableau de l’ époque ainsi traversée. Une folle mosaïque de détails qui assemblés font transcription, reconstitution de vies, de rencontres, de folies, de lieux, de musique, d’images de mots, sans forcément s’attarder sur les maux. .
Le livre commence lorsque le jeune homme de 19 ans découvre une certaine liberté et son attirance pour les garçons. « Il descend à la station Trocadéro. Quand il sort, le soleil est couché et il fait froid…Avec son style de dandy décadent, il ne passe pas inaperçu dans les rues du XVIè arrondissement, ni même parmi les autres étudiants cinéphiles. Ça ne le dérange pas, il aime que l’on se retourne sur son passage, même si c’est pour se moquer. » Il lit La chambre de Giovanni, « Il l’a commencé dans le métro, les premières pages lui plaisent déjà. » comme les garçons. Les mots de Baldwin lui font penser à la mort de sa mère. Et « il se souvient de la mort de son père, de ces moments où, comme sa mère, il avait arrêté de dire oui à la vie. » En 1970, sa mère se suicide, événement traumatisant qui le hantera toute sa vie. « Je pars pour te laisser la route libre, je vais rejoindre ton père », il osera pourtant s’avouer que la mort de son père, quand il avait 14 ans, « avait été une libération ».
Il partira en fuite sur la route de soi, puis à la découverte des drogues, de la route (l’Inde, l’Afghanistan…) avant le retour à Paris et l’adoption d’une nouvelle image : celle du dandy nihiliste, adepte du cuir, des drogues dures et des nuits blanches entre concerts et boites de nuit.
Ambivalent, paradoxal, borderline, il oscille sans équilibre, il touche du doigt l’intense absurdité et il en fait une vie. Et justement, le roman oscille entre deux parties, « vivre », oui, puis « survivre », car toute vie est faite de méandres. Et entrer dans la vie d’un tel personnage, c’est grâce à l’auteur entrer aussi dans sa tête. Ses pensées, sa conscience bousculées, ses élucubrations et épistémè.
Toute une vie en volutes, évanescente, scintillante et émouvante
Les pages troubles, enfumées et emplies d’héroïne sont multiples. Pacadis semble inatteignable par la mort malgré ses fréquentations, ses usages de substances. La description des logements de ce parisien contraste avec l’image de luxe et de réussite souvent associée au monde de la nuit. Une justesse éclairante.

Deux chapitres sont un hommage à la mère décédée. Et on comprend pleinement, aussi, combien cet événement est devenu fondamental, un lourd fardeau de culpabilité à porter, mais une certaine renaissance aussi. Différent. Fulguré. En quête d’amour et d’affection, homosexuel ayant du mal à se poser en couple, au coeur d’une génération et d’une époque particulière, il faut dire, puisque le Sida. Le lien se fera entre Nicole et Nico. Car sa rencontre avec Nico, lui qui se pensant le jumeau de Lou Reed, ayant laissé le Velvet Underground occuper sa vie un moment, en dira long aussi sur son hypersensorialité.
Mais pour en savoir plus, plus en détail, il faut aller se jeter dans cette écriture vraiment, car l’effet produit est sincèrement garanti !
Ce roman est emportant, par son style communicatif, son verbe pur, franc, sa verve lucide. Même quand Alain Pacadis croise Gabriel Matzneff, il dézingue avec brio et liberté !
« Tu rigoles? Un article pour dénoncer une pratique sexuelle dans Libé? On n’aurait pas fini de se foutre de ma gueule. Entre mon casier de pédé camé et tous ceux au journal qui se tapent des mineurs. On milite pour que la majorité sexuelle soit la même pour les homos et les hétéros, pour qu’on puisse baiser à n’importe quel âge, et on a raison! Alors on va pas commencer à dénoncer les mecs qui se tapent des mineurs…Libé qui se mêle de morale? C’est plus Libé. On emmerde la morale »
Un mélange entre Hunter S. Thomson, Hubert Selby Jr, Pasolini, Lynch, Dorian Gray avec un clin d’oeil vers d’autres plumes de l’époque, car on en croisera, des icônes, dans ces pages. Toute une vie non perdue mais errante, tourmentée, brève, mais tellement intense, dense et dansante.
Bref, c’est un premier roman qui n’en a pas l’air, une biographie qui n’en est pas une, c’est une lecture qui flirte avec le temps, une plongée multisensorielle et une envie de retomber dans tous les disques vinyls d’Iggy pop, des New York Dolls, du Velvet underground et de Kraftwerk, entre autres, pour se laisser aller aux rythmes de la nuit.
Margot.
Alain Pacadis face B, Charles Salles, La Table Ronde, 272 p. , 22€.
« Alain Pacadis, Face B », Charles Salles, La Table Ronde, Vermillon, paru le 24/08/2023, 272 p., 22€