L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
La Foudre, Pierric Bailly (P.O.L.) – Margot
La Foudre, Pierric Bailly (P.O.L.) – Margot

La Foudre, Pierric Bailly (P.O.L.) – Margot

L’amitié, l’amour, (moi qui ai toujours dit que l’âme et le corps faisaient la nuance entre les deux mots, maintenant j’ajouterai le temps), les déceptions ou sentiments inattendus, le temps/les années, les ombres du passé qui reviennent, démasquées, le retrait et la solitude pour saisir le réel, son animalité et ce que masque la vie aux êtres. Taire est fuir, vivre en retrait est (ré)affronter, (ré)affirmer.

Toucher du doigt la grâce et la chute, l’espérance, la désespérance et les bêtes, aimer avec la sensation d’un lien unique, et pourtant, tout ça porté par un style audacieux et fin, infiniment sensible et nuancé, fataliste mais pointilliste, et au final juste humain, justement humain.

Dire la dualité et les fulgurances. L’attente. Ce qu’aimer veut dire ? Vivre et affronter. Ne plus taire le tumulte. Accepter. Et c’est déjà ça.

On entre dans l’histoire avec Julien, berger et en couple, qui passe cinq mois par an dans les alpages, dans le Haut-Jura. Il aime la solitude, la nature, observer, penser, repenser, regarder le temps passer, paisiblement. Il a pour projet de quitter cette vie qu’il connaît bien pour partir s’installer à la Réunion, pleine de « forêts tropicales qui n’ont rien à voir avec nos forêts de hêtres et d’épiceas, bien sûr, la végétation est nettement plus variée et colorée à La Réunion.« Il aime la solitude, il l’a choisie, la nature, sa beauté, la sobriété, il laisse tout cela nourrir son être, ses pensées, car comme tout être solitaire, il sait observer les autres, même les très rares qu’il laisse entrer dans sa vie.

Mais, un jour, il apprend au détour d’un article que l’un de ses anciens camarades de lycée a été mis en examen pour homicide et que « le mis en examen a reconnu les faits ». Alexandre Perrin, le Alex du lycée, est vétérinaire à Tarare, mais sa vie a basculé. La victime était un jeune chasseur de 20 ans.

« Que la victime soit un chasseur ne change rien. Ces deux éléments, Alexandre d’un côté et ce geste barbare de l’autre, sont impossibles à associer.

Assassiné à coup de planche…

Cette violence est tellement loin du souvenir que j’ai sur lui. Sur l’unique photo que je trouve en ligne, il est, je n sais pas comment dire, serein, normal, lui-même. Il n’a pas l’air de s’être transformé en dangereux sociopathe. « 

Près d’un an ayant passé depuis la publication de l’article et le prévenu ayant écopé de six mois ferme, il s’interroge.

« Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir me remettre en phase avec l’époque, me resynchroniser. Les articles sur Internet remontaient au mois d’octobre de l’année dernière, tout comme le journal que j’ai brûlé. Alexandre est-il toujours en prison ? A-t-il déjà été jugé ? Peut-être qu’il a été innocenté, entre-temps. »

Photo : Amandine Bailly.

Il quitte son refuge et reprend contact avec Nadia, l’épouse d’Alexandre et ancienne camarade. Ils s’appellent, se revoient. Reparlent de leur amitié passée et du présent. Des amis autour d’eux, aussi, de ce qu’ils sont devenus.Entre Julien et Nadia se noue une relation, d’abord amicale, puis il en tombera amoureux. Ils tomberont. Un méandre sera pris, le méandre de toute une vie non déviante, mais justement déviée de ce à quoi on croyait.

Une passion, un coup de foudre, une emprise, une obsession ? Nadia … Nadia…Un tournant, oui. Un tournant. Héloïse finira par partir seule, en avant-coureuse, à la Réunion, tandis que Julien reste pour soutenir Nadia, l’aimer, aussi, de temps à autres, la passion étant réelle et sincère. Ils suivront le procès d’Alexandre. Jusqu’au verdict.

Le récit du procès est à sa façon passionnant, juste, sensible, lucide, documenté, éclairant.

« Les débats ont duré plus de huit heures. Le jury était partagé et ça s’est joué à peu de choses. Mais elle n’en veut pas au jury, elle en veut surtout à Alexandre. Il aurait fallu qu’il soit moins fou et moins indécis pour faire basculer le verdict en sa faveur. Bien sûr, on ne peut pas savoir, mais elle estime qu’il s’est très mal défendu, qu’il s’est condamné tout seul. »

« cette obsession de la transparence (….) une exigence de justesse là où il aurait dû rester dans une exigence de justice. »

La passion fera-t-elle basculer sa vie ? Ses projets, son couple avec Héloïse, le peu d’amis qu’ils ont, leurs dix ans de relation, tant il se sent habité par Nadia, comme dépendant, vampirisé, fou d’elle, vivant et amoureux comme jamais. Une passion, mais… Que se passera-t-il si/quand Alex, toujours le mari de Nadia, sortira ?

« Quand on y pense, l’influence de ce type sur ma vie est démente. Ce type avec lequel je n’ai rien partagé d’important et que j’ai finalement peu fréquenté est à l’origine de tous les tournants décisifs de mon existence. »

Comment devient-on qui on est ? Comment une route toute tracée peut elle être déviée, jusqu’à la prison, la passion, la folie, la foudre, l’amour, la tempête ?

Photo : D.R.

Les relations humaines sont détaillées, précises, les portraits eux aussi étonnants de justesse, de profondeur, brillamment construits, La toxicité des relations, aussi. L’amitié, ce grand mot qui allie fascination, emprise, domination, obsessions et illusions…La famille… Car on rencontre aussi le grand-père de Julien, entrant par la petite porte de son histoire familiale. Qui a construit, transmis cet amour de la nature, des grands espaces. En toile de fond, en alternance, il y a aussi ces retraits, ces montagnes fondatrices, retrouvées qui donnent au roman, au récit, rythme, respiration, méditation et contemplation.

C’est avec une intelligence précise et juste, chaque mot étant pesé, chaque tournant étant nuancé, ajusté, chaque sentiment réfléchi, que Julien va avancer, et nous avec lui. Avec la peur d’un destin qui bascule, d’une passion qui s’éteint, d’une chute inexorable, aussi. Les peurs et pièges à éviter. Les mensonges et les tromperies, la sauvagerie et le besoin d’aimer et l’être aimé. Tout regarder tout arpenter pour choisir, avancer.

Et l’histoire de Julien devient une histoire universelle, malgré son retrait du monde, car il pense, ausculte tous les tournants de l’âme humaine, interroge et répond, personnellement, corporellement, une exploration géographique que lui même et de touts ceux auxquels il tient, aussi. Et la nature qu’il aime tant observer. Les chemins, les rivières, les brumes, les bruits, les odeurs, l’herbe, les brebis, les béliers, les orages, « ces bons dieux d’orages que j’aime tant, ces orages tonitruants du Haut-Jura qui finiront par avoir ma peau à en croire certains. »

Margot.

La Foudre, Pierric Bailly, P.O.L., 457 p. , 24€.

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