« Le soir tombe. Le grand seau d’eau glacée rafraîchit l’air. Rince le sang par terre vers les coins. À l’horizon, la plinthe du ciel en est maculée. Sur sa chaise, les mains attachées dans le dos, le monde s’abandonne. »

L’histoire. Mexique, de nos jours. La criminalité explose et les cadavres s’accumulent. Le gouverneur, qui veut être réélu, fait remplir une semi-remorque de 157 morts de mort violente pour vider les morgues. Deux hommes sont désignés pour conduire le camion et ne jamais s’arrêter : Vieux et Gros. Mission : les 157 morts n’existent pas. Une seule erreur et ils rejoindront le chargement, à l’arrière.
Putain, pour commencer, j’aurai appris comment produire un accent aigu sur un « a » minuscule, pour le titre, les raccourcis clavier n’ont de raccourci que le nom…
Sébastien Rutès, je le découvre avec ce roman noir, bien noir, très noir, sans espoir. Un kawa bien serré, tellement qu’il va probablement vous tordre le bide et vous laisser les yeux comme des soucoupes en pleine nuit, au passage du gué. Bon dieu, c’est de la bonne !!!
C’était couillu d’écrire de la sorte. Je veux dire, balancer des phrases qui sont comme l’horizon, qu’on n’atteint jamais. Pour cela, l’auteur, qui est un fieffé rusé, a trouvé une technique très propre : s’aider de la ponctuation en usant des deux points et en plaçant systématiquement une virgule après un point d’interrogation, ainsi le flot des mots peut continuer sans qu’on en prenne ombrage ou qu’on s’emmerde. Parce qu’on ne s’emmerde pas une minute. J’en aurais bien repris pour une centaine de pages, même.
Je vous parle de l’écriture parce que ça fait plaisir de voir des gars qui explorent, tentent des trucs, vont fouiner dans les bordures, voir ce qu’ils peuvent dégoter dans les fossés, et dans ce roman, les fossés, ils grouillent de trucs pas chouettes.

Je parle d’un « flot » parce que l’écriture se confond aussi avec une narration omnisciente mêlée à des dialogues intérieurs et des dialogues tout simples. Et j’admire ça car ce procédé s’adapte à merveille à l’histoire qui est ce qu’on appelle un « road-movie » et ce que j’appelle une « histoire roulante, un roman voyageur ». Donc en lisant ce livre, vous vous trouvez avec un style en osmose avec l’histoire et le rythme. Bravo, chapeau.
Ne croyez pas que cela soit simplement un effet pyrotechnique pour vous en mettre plein les mirettes, parce que c’est discret, déjà, et qu’on ne s’en aperçoit pas tout de suite, la sensation n’en est que plus forte. Le roman ne se résume pas à ça, parce qu’il est superbement écrit. Exemple, dans le désert, sous un caillou essoré de chaleur, j’ai trouvé ça : On construit le présent en ruine, pour n’avoir pas besoin d’attendre. C’est page 73. Ça donne une idée de la désespérance des personnages. Et des ogives de ce calibre le livre en est parsemé, avec des macchabées aussi.
Bon, je sais, j’en ai pas trop dit sur l’histoire, mais le but c’est de la découvrir. Ce que je peux m’autoriser à lâcher, c’est que Sébastien Rutés peint un pays en totale déliquescence, trempé dans un bain de souffrance cuit par un brasier de violence. Un pays où une vie humaine ne vaut absolument rien. Un lieu désespérant, où la mort frappe comme la foudre, même si le ciel est d’un bleu impitoyable.

Un mot sur Gros et Vieux. Ces deux-là, sont aussi désespérés que le pays pleure des larmes amères et rouges. Ils trimballent des douleurs qui les rongent, mais c’est à croire que personne, là-bas, ne peut prétendre à l’anesthésie. Vieux et Gros, avec leurs silences, leurs mots rares et cinglants, ils m’ont fait penser à deux autres attelages, du genre mythique. Vu qu’ils conduisent un camion, forcément j’ai pensé à Yves Montand et Charles Vanel couvert de pétrole, dans le film que vous savez. Il y a dans leur rapport, une filiation, et surtout, l’acceptation d’un salaire malgré la peur. J’ai aussi pensé à Dien et Charlie, les deux bûcherons de La forêt muette, du grand Pierre Pelot. Il y a cette force-là dans Mictlan, ces deux gros blocs d’émotions et de caractères, ces deux hommes à la dérive sur le radeau de la vie. Et je trouve que c’est une belle image, le radeau, l’océan de la vie, parce qu’il y a une chose que t’explique l’auteur, c’est que là-bas, quand tu es pauvre, tu n’as le choix qu’entre une mauvaise solution et une mauvaise solution.
Le tout emballé en 156 pages.
Le moteur du camion tourne, Gros et Vieux vous attendent.
Mictlán, Sébastien Rutès, Folio Policier, 160 p. , 6€10.