L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Plexiglas, Antoine Philias (Asphalte) – Mélanie & Yann
Plexiglas, Antoine Philias (Asphalte) – Mélanie & Yann

Plexiglas, Antoine Philias (Asphalte) – Mélanie & Yann

Je me souviens qu’au bout de quelques semaines de confinement en 2020, nombre de mes contacts FB ironisaient sur le risque de voir rapidement apparaître en librairie des dizaines de Journal de mon confinement et autres Prisonnier malgré moi , Le tour de ma salle de bains en 80 jours ou Mon nombril et moi. Si ces pronostics se sont finalement avérés quelque peu exagérés, il faut reconnaître que l’année 2020 et son cortège de nouveautés offraient à la fiction un cadre aussi inédit qu’inespéré. Outre un vocabulaire auquel il fallut s’habituer (gestes barrière, distanciation sociale, confinement), c’est notre façon de vivre au quotidien qui se vit du jour au lendemain remettre en question par des décisions dont je laisse chacun(e) libre de penser ce qu’il/elle veut. Cette chronique n’a pas pour but de débattre du bienfondé des choix gouvernementaux de l’époque mais plutôt d’évoquer un bouleversement sociétal qui ne pouvait qu’interpeller nombre d’auteurs et d’autrices. C’est dans cette optique que s’inscrit ce Plexiglas, troisième roman d’Antoine Philias.

« Elliot, bientôt trente ans, a un père routier, une mère partie depuis longtemps, une soeur jumelle à la vie bien rangée et une béquille. Le 31 décembre 2019, il revient dans la ville de son enfance. Lulu, bientôt soixante ans, est employée de caisse chez Carrefour. Ensemble, ils ne vont rien changer mais vont se lier d’amitié. »

Je crois que c’est ce « ensemble, ils ne vont rien changer » qui a fini de me convaincre de lire ce roman. Écartant d’entrée de jeu la piste d’un énième roman engagé au cours duquel on assisterait à la lutte des protagonistes contre un système qui cherche à les broyer, Antoine Philias préfère observer avec empathie les vies de celles et ceux qui vivent autour de lui. Bien sûr, la critique n’est jamais loin mais la posture choisie n’est pas celle de la dénonciation. Chaque page de Plexiglas sent le vécu et c’est bien la principale force de ce roman de nous faire revivre l’année dont on se souviendra comme « l’année du Covid » (oui, je dis LE Covid si je veux). Plongée ultra-réaliste dans la vie de quelques habitant(e)s de Cholet, où l’auteur est né et a vécu, le roman retrace avec un sens acéré du détail le quotidien de ces employé(e)s d’un supermarché Carrefour face à l’arrivée de la pandémie en France et aux mesures prises pour maintenir le commerce coûte que coûte.

On retrouve chez Antoine Philias comme chez Nicolas Mathieu ce sens du détail qui frappe, ce réalisme sans fard qui met à nu toutes ces vies besogneuses, plus souvent mornes que joviales, où il est davantage question de survie que d’épanouissement. Mais Antoine Philias évite le syndrome de l’auteur qui veut donner une voix à celles et ceux qui n’en ont pas (suivez mon regard …). Il en résulte un roman parfois vaguement déprimant, souvent chaleureux, toujours juste, une peinture fidèle de cette période qui nous vit toutes et tous faire face tant bien que mal à cette période hors-norme dont, trois ans plus tard, nous subissons encore le contrecoup, à l’image de ce plexiglas qui a envahi nos existences du jour au lendemain et peine à en disparaître.

Yann.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : voilà un sacré bon livre ! Et pourtant, je dois bien l’avouer, j’ai une tendance assez nette à me méfier des comédies sociales, au cinéma ou en littérature, qui, sous couvert de vouloir mettre à mal les travers d’une société, peuvent assez vite se vautrer dans le lourdingue, le mépris, le caricatural (je ne vous donne pas de nom, je suis sure que vous trouverez)

Et s’il y a bien une certitude avec Plexiglas, c’est que son auteur a évité tous ces pièges. Et non seulement il les a évités, mais il campe un portrait d’une justesse et d’une subtilité impressionnantes de la société française d’aujourd’hui – mais pas de toute la société, non : celle des oubliés, de ceux que l’on n’écoute jamais ou alors pas plus de quelques minutes, la « France d’en bas », la « France de ceux qui ne sont rien », la « France des sans dents ». Et pourtant, ce sont bien eux et personne d’autre qui la font tourner, la France de 2020 dans laquelle se déroule Plexiglas. La France encore en plein confinement, où les derniers de cordée se retrouvent brutalement propulsés au front des premières lignes, sans gel ni masque, aux caisses des commerces essentiels.

Car si ce livre est construit autour d’une unité de temps – l’année 2020 – , il fonctionne également autour d’une unité de lieu : Cholet, ville moyenne de l’ouest de la France, et plus précisément autour d’une galerie commerciale dans laquelle vont se rencontrer les 2 personnages principaux du livre : Elliott, trentenaire paumé qui débarque de Rennes et revient dans sa ville d’enfance et Lulu, caissière bientôt à la retraite, fatiguée par la vie et revenue des luttes syndicales. Au fur et à mesure que grandit leur amitié, les personnages secondaires, tous réussis, et les situations n’en finissent pas de créer un livre drôle, tendre, d’une justesse jamais démentie, qui traite avec finesse et respect de sujets délicats et qui n’est pas sans rappeler, avec un autre ton certes, les romans de Nicolas Mathieu ou les interrogations d’Annie Ernaux. Ce livre, sans jamais oublier la littérature, est profondément et tendrement politique (et sans trop vous en dire, on espère que le maire de Cholet lira le roman…), et a pour ligne directrice d’être avec avec ses personnages et non à côté ou au-dessus, sans surplomb ni mépris, mais avec le plus grand des respects et une immense tendresse.

Mélanie.

Plexiglas, Antoine Philias (Asphalte), 240 p. , 21€.

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