En général, je laisse passer du temps avant de poser des mots sur les livres que je termine.
Pas tellement parce que je sais pas quoi en dire, mais plutôt parce que parfois, j’ai tendance à être grave méchant, et c’est pas forcément judicieux.
Toujours se méfier des réactions primales après une lecture qui ne laisse pas de traces.

J’ai lu, en quelques heures, le roman de Justine Niogret.
Tu sauras ce que je pense de la dame si tu jettes un œil sur une chronique qui s’appelle La viande des chiens, le sang des loups, parue au mois de février.
Comment dire les blessures de l’enfance, je sais pas.
J’ai essayé, dans un de mes romans, mais la violence a toujours été présente. Du mal à faire sans ça.
Ce que je sais, parce que des chiffres te le disent, c’est que plus d’un enfant sur dix a été victime de maltraitance.
C’est un mec, ouvrier au chômage, qui tente d’expliquer ce qu’il lui est arrivé, et puis c’est un couple qui sort de cet immeuble avec une couverture sur la tête, pour ne pas être reconnu. C’est le secret qui entoure ces actes et dont les familles ne parlent pas, ne veulent pas parler, ou ne peuvent pas dire.
Ces actes liés à la sexualité contre lesquels « les héros » hurlent dans la rue « sans jamais foutre le feu à la maison qui abrite les pédophiles ».
Les chiffres, encore eux, disent que plus de la moitié des victimes n’en parlent jamais. Comme un tabou, une tare de notre société humaine qu’il faut taire à tout prix, même si ça commence à changer.
Si tu crois que c’est seulement chez les « pauvres » que ça se passe, t’as tort.
C’est partout.
Dans tous les milieux, et ça commence à se savoir.
C’est sans doute juste à côté de chez toi, ce môme que tu croises et qui te regarde jamais dans les yeux. Tu crois qu’il est timide, tu crois que cette gosse est bien élevée, mais non.

Ils ont peur des adultes.
Ils ont peur de ceux qui les blessent et qui les empêchent de vivre leur enfance.
Ils ont peur de ces hommes, de ces pères ou de ces oncles, qui viennent la nuit, et qui ouvrent les portes de l’enfer.
Peur, parce qu’ils savent inconsciemment que ces plaies ne cicatriseront pas. Qu’ils porteront toute leur vie les empreintes de ceux qui les ont abîmés, comme autant de traces indélébiles posées sur leur peau.
Certains s’en sortent, parfois en écrivant les blessures, comme Céline Raphaël, prodige et battue. Ou une autre Céline, Lapertot, face à « Ce qui est monstrueux est normal ».
Battue et prodige.
Je sais pas dans quel sens ça a commencé. Elle parle d’ultraviolence.
Alors les tentatives pour exister, les tentatives pour mourir, celles qui t’éloignent des autres, parce que tu es différent. Parce que les autres ne peuvent pas entendre le secret que tu portes, celui qui t’empêche d’aimer, celui qui te fait fuir tous ceux qui t’approchent parce que tu as peur de montrer tes blessures, tes failles.
Elle te raconte ça, Justine.
C’est un roman. Alors ça veut dire que c’est une histoire.
Qu’elle soit la sienne ou celle de tous ces enfants, de tous ces mômes qui ferment les yeux pour ne plus voir cet homme debout près de leur lit, qui se bouchent les oreilles pour ne plus entendre les gémissements de ceux qui les violentent, ou qui posent leurs petites mains sur leur bouche pour ne pas crier, on s’en cogne.
Il faut juste que tu les entendes pleurer.
Il faut seulement que tu entendes ces bébés qui hurlent sous les coups de leurs parents, parce que souvent, toi et moi, on a tendance à mettre des boules Quies.
Sans doute que notre éducation nous laisse imaginer que la famille, c’est sacré. Que si nos parents nous cognent ou nous violent, c’est parce qu’ils ont une bonne raison, qu’il ne faut rien dire, pour ne pas froisser le pantalon de Papa ou la robe de Maman. Parce que leur cinquième commandement dit qu’il faut honorer son père et sa mère…
Sans doute.
Et parce que les taches sur les vêtements, ça part au lavage.
Mais elles partent pas toutes.
Justine Niogret nous raconte une enfance brisée par la haine de parents qui auraient pu aimer mais qui ont choisi de prendre un autre chemin.
Une enfance, puis une adolescence abandonnée au seuil de l’Amour.
Des hommes presque caricaturaux tellement ils sont communs et identiques à ceux que tu croises peut-être chaque matin, dans le bus, à l’usine ou au bureau. Ceux que tu vas regarder différemment parce que souvent, leur gamin a tendance à tomber tout seul et à porter des marques sur le visage ou sur les bras.

Car leur fille de huit ans est incapable de sourire à un adulte, et qu’elle ne trouve de réconfort que dans les caresses dispensées au chien qui pose sa tête sur son épaule. Tu savais pas que les chiens, les chats, sont généralement plus aimants que certains parents ?
Je te le confirme.
Pas de traces de viols chez les animaux, à part chez les dauphins, et on dit qu’ils nous ressemblent.
Mais en revanche, nous, on sait faire.
On est des humains, avec toute cette grandeur d’âme qui nous caractérise.
Cette capacité à la violence gratuite et surtout notre capacité à l’excuse qui fait que parfois, j’ai tendance à croire qu’on est simplement une erreur de l’évolution, et qu’on aurait dû disparaître.
Je ne peux rien te dire de plus sur ce roman.
Simplement conclure cette chronique par ces phrases que tu vas croiser pendant ta lecture, et j’espère qu’elle me pardonnera de les lui avoir empruntées…
« Je pense que mon conjoint chialerait de te rencontrer. Il pleurerait de voir autant de saleté dans un corps humain, il pleurerait de rage et d’impuissance à m’aider, moi, quand j’étais petite, et enfant, et ado, et jeune adulte. Il pleurerait de voir le mal que certains sont capables de faire, que certains se donnent le droit de faire. Pas par méchanceté, par vide. Parce que tu es vide. «
Merci Justine, pour ces mots et pour ces tripes déposés sur ces feuilles, pour ces phrases offertes à ceux qui les reconnaîtront.
C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.
Nicolas.
Le Syndrome du varan, Justine Niogret, Le Seuil / Points, 179 p. , 6€60.
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