« Chaque roman, chaque poème, est la même histoire unique, qu’on raconte encore et encore. Comment on essaie tous de devenir véritablement humains, sans jamais y parvenir. »

Avec cette phrase glissée quelque part dans les 200 pages de ce roman, James Sallis semble vouloir livrer une des clés de son écriture, une des obsessions qui sous-tendent son oeuvre, qu’il affine livre après livre. Creusant son sillon avec persévérance et discrétion, il offre avec ce Sarah Jane un polar atmosphérique au moins aussi réussi que Willnot, son prédécesseur (Rivages 2019 – Poche 2021).

Venu assez tardivement au roman noir après avoir exercé de multiples métiers (parcours formateur s’il en est), Sallis est aujourd’hui considéré comme un des maîtres du genre. Pétri d’humanité, passionné de poésie (il écrit ses premiers poèmes à 15 ans au grand dam de ses parents), amateur de jazz, l’homme est également fragilisé par des fêlures intimes qui, paradoxalement, donnent à ses textes la force et la justesse qui manquent souvent à d’autres. Lire un roman de James Sallis n’est pas exactement la même chose que lire un polar. L’essentiel, ici, n’est pas dans l’intrigue, encore moins dans l’énigme et pourtant ses livres tiennent debout comme de frêles cathédrales pleines d’humanité et d’empathie.
« J’avais ressenti l’appréhension et la douleur des autres à de nombreuses reprises dans ma vie, mais je n’avais jamais été confrontée à une angoisse si totale qu’elle effaçait toutes les couleurs du monde. Prendre la plus petite décision était devenu une épreuve insurmontable. Les balances servant à peser les choix étaient hors service. Tout n’était que du papier d’emballage qui se défaisait dès qu’on l’effleurait. »
S’il se démarque de la plupart des auteurs actuels de polar, Sallis ne nie pas pour autant la violence du monde mais il ne s’appuie pas sur elle pour poser une histoire. À travers l’histoire de Sarah Jane, qui devient shérif après un parcours pour le moins chaotique, il se penche une nouvelle fois sur une petite communauté dont l’équilibre précaire est remis en question par la disparition du shérif titulaire. Forcée à se confronter à cette absence, la jeune femme va devoir, en se penchant sur l’histoire de Cal, se remémorer le fil de la sienne. Grand maître de l’ellipse et du non-dit, James Sallis n’en abuse pas et les utilise au contraire à bon escient, poussant le lecteur à la réflexion et à la même empathie qui baigne chacune de ses pages. Loin de toute tentation spectaculaire, il impressionne par la maîtrise totale de son art, qu’il affine depuis son premier roman il y a presque quarante ans.

Un tel dosage de virtuosité et d’humilité, un tel concentré d’humanité en un livre aussi fin, là est la signature de James Sallis qui entre définitivement avec ce Sarah Jane dans notre (petit) panthéon personnel des auteurs encore vivants dont on ne ne séparerait pour rien au monde.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Maillet.
Yann.
Sarah Jane, James Sallis, Rivages/Noir, 206 p., 19€.
J’adore ce gars, vraiment d’une grande intelligence, toujours subtil.
Oui, un vrai rand auteur comme il n’y en a finalement pas tant !