L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
La Cathédrale des souris, Victoire Pigaglio (Bruits de Bazar) – Yann
La Cathédrale des souris, Victoire Pigaglio (Bruits de Bazar) – Yann

La Cathédrale des souris, Victoire Pigaglio (Bruits de Bazar) – Yann

cathédrale

« Ils sont donc tombés amoureux en dansant la valse sur un air d’accordéon (…) Lorsque ma mère nous racontait cette histoire, elle précisait toujours que si l’aventure pouvait sembler banale, ce qu’ils avaient ressenti, enlacés sur les planches de la guinguette, ressemblait au souffle d’un ange qui se serait posé sur leurs coeurs. Papa ajoutait avec une pointe d’ironie mêlée de tendresse que maman était un peu cucul-la-praline. »

Quoi de mieux pour commencer l’année que de découvrir une toute jeune maison d’édition et un premier roman prometteur ? Bruits de Bazar (sous-titrées Les éditions du désordre), tout un programme ! La maison est née quelque part fin 2024 et le moins que l’on puisse dire de son programme, c’est qu’il ressemble davantage à un manifeste. Jugez – en par vous mêmes : « Quand le désordre enflamme les vies, quand le chaos lance un défi, quand tout est désorienté, il suffit parfois d’une étincelle et la machine explose. Ce sont ces moments-là que nous avons choisi de publier. Ces moments où les débris issus des décombres s’emboîtent les uns aux autres. » Parfaite entrée en matière pour ce premier roman de Victoire Pigaglio dont on apprend sur le site de l’éditeur qu’elle est née en 1957 d’une famille d’immigrés italiens et a attendu de fêter ses 60 ans pour se lancer pleinement dans l’écriture.

« Isabelle vient au monde au milieu du XXème siècle. Elle aime les frites bien dorées, son pépé, sa mémé, et les vacances en Bretagne avec les cousins-cousines (…) La vie est belle et l’avenir s’annonce radieux. Jusqu’au jour où tout dégringole : pépé meurt brutalement et papa disparaît. » Extrait de la quatrième de couverture.

Alors, bien sûr, d’immigrés italiens il sera question dans ces 130 pages, puisque pépé-mémé, les grands-parents de la narratrice arrivèrent en France depuis leur Piémont natal en 1928. Le roman commence lorsqu’Isabelle et ses parents quittent leur maison de Colombes pour venir s’installer à Paris, rue d’Alligre, dans l’appartement voisin de celui de Giovanni et Maria, un de « ces couples où l’éternité est inscrite dans les gênes et où l’imprévu n’a pas sa place. » Très vite, la proximité permanente des grands-parents, ajoutée à la finesse et la vétusté des cloisons qui séparent les deux appartements et dans lesquelles se sont installées nombre de souris, très vite, la famille se rend compte que l’ambiance n’est pas forcément au beau fixe chez Giovanni et Maria et tourne même régulièrement à l’orage. Certes, les apéros quotidiens lors des vacances familiales en Bretagne aident à oublier ces tensions mais les enfants, même s’ils ne comprennent pas tout, ont pris conscience d’une fêlure dans le roman familial.

Nourrie à n’en pas douter des propres souvenirs de son autrice, cette Cathédrale des souris restitue à merveille dans sa première partie les délices d’une enfance insouciante au sein d’une famille aimante. Victoire Pigaglio excelle à décrire sans une once de mièvrerie ces moments aussi fugaces qu’inoubliables où la vie semble avoir tout pour plaire malgré la situation financière plutôt précaire de la famille. Elle se montre tout aussi douée lorsqu’il s’agit de faire entrer le drame dans son récit, en commençant par l’arrivée d’une nouvelle femme dans la vie de pépé Giovanni. L’image idéale que s’était construite Isabelle se fissure et finit par voler en éclats en même temps que le mur de l’appartement détruit par les dératiseurs afin de faire disparaître les rongeurs qui l’habitaient. Et finalement, c’est l’inimaginable qui se produit avec la mort subite de Giovanni, suivie très rapidement de la disparition du père. C’est tout un univers qui vole en éclats lorsque la jeune fille apprend par sa meilleure amie que son père est en prison. Cette révélation marquera la fin des illusions pour Isabelle et son frère qui mettront ainsi un premier pied hors de l’insouciance de leur enfance.

La cathédrale des souris parvient à concentrer en peu de pages les couleurs sépia des vieilles cartes postales et les nuances de gris puis de noir d’une existence qui dérape. Sans s’apitoyer maladroitement sur les émotions de ses protagonistes, Victoire Pigaglio parvient à dépeindre la déflagration qui sonne le glas de leur enfance et ses conséquences sur leurs vies dans les années qui suivent. Attentive et réaliste, elle décrit leur passage à l’âge adulte, ce moment charnière qui arrive souvent bien trop tôt. Elle ne s’encombre pas non plus de grandes leçons de morale ou de philosophie à deux francs, préférant se souvenir que, quoi qu’il arrive, la vie peut réserver des surprises et qu’il faut savoir en saisir les bons moments. Point de feel-good à la Virginie Grimaldi ou consorts ici, juste la conscience aigüe qu’on doit vivre malgré tout et avancer quoi qu’il en coûte.

« Quand j’entends enfin, comme une prière déchirante, mille et une souris entonner le Bella ciao dans leur cathédrale de briques, j’ouvre les yeux. Je regarde mes parents qui se tiennent la main et je me dis que tout est possible. »

Yann.

La cathédrale des souris, Victoire Pigaglio (Bruits de bazar), 129 p., 12€.

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