« Tout se simplifiait : c’était désormais la guerre, la base absolue des motifs primitifs. Il y avait grosso-modo, comme au temps des dinosaures, deux tribus qui décidaient d’en découdre jusqu’à plus soif. Les Valter, il allait falloir les calmer. Non mais… »

L’histoire. De nos jours, dans le nord de la France. Camille Destroit travaille comme responsable du rayon frais dans un hyper. Vivant dans la ferme de ses parents morts dans un accident de la route, il soutient des écologistes qui tentent de bloquer un projet de plateforme multimodale qui détruirait une zone humide très riche en faune et flore. Lors d’une manifestation il est interpellé, placé en GAV, libéré. À son retour chez lui, où il stocke du matériel pour les zadistes, sa grange a été incendiée. Juste après, son employeur, la famille Valter, qui est partie prenante dans le projet de plateforme, le licencie. Peu après la copine de Camille le largue et il se fait casser la gueule par des crânes rasés qui auraient bien pu être envoyés par les Valter. De quoi inciter Camille à prendre le sentier de la guerre.
C’est toujours un vrai plaisir de lire cette légende, Jean-Bernard Pouy. En deux cents pages il nous trousse une histoire fébrile, dense, qui surfe sur un rythme endiablé. Bien évidemment l’humour est sans cesse à la charge, entêté comme les vagues. Du nord à la Bretagne en passant par la Lituanie ou les Landes, Pouy nous emmène dans un voyage en quête de liberté, d’indignation, de Résistance.
Son personnage, Camille, c’est monsieur tout le monde. Il est intéressant Camille. Il est intéressant parce que ce n’est pas un belliqueux, il a passé les quarante piges, il vit dans la ferme héritée de ses parents, il a une chérie, un chat (Glütz), un boulot pas trop chiant, même si c’est pour une grande entreprise qui s’assoie sur les lois et l’environnement. Les dynasties entrepreneuriales ont souvent tendance à croire que les règles sont édictées pour les autres ; quand je dis « les autres », je veux dire les faibles, les présumés gueux, ceux qui ne sont rien, paraît-il.
Ce roman qu’on ne lâche pas grâce à l’efficacité de la narration à la première personne du singulier et aux chapitres courts qui poussent au crime de repousser la nuit, dissèque les rouages de l’establishment d’une région, avec ses potentats et ses petits barons politiques, montre au grand jour la consanguinité de certains élus et de certains patrons, il met à jour la servilité de quelques membres des services publics qui ne sont plus au service du public justement, mais au ordres des intérêts privés, pour leur plus grand bénéfice.
Camille est un gentil, on l’a dit. Mais l’acharnement des politiques, de la police, des impôts, de la famille Valter va le pousser à se défendre. Lui qui n’est pas un radical va choper les abeilles et son miel va s’avérer très acide. Personne n’est plus dangereux qu’un homme qui a tout perdu. Les Valter n’ont pas appris cela dans leurs écoles privées, c’est bien dommage.
Jean-Bernard Pouy manie l’humour et les jeux de mots pourris comme personne, quand c’est assumé ça fonctionne, c’est l’ingrédient qui réhausse le goût déjà savoureusement révolutionnaire de cette histoire qui pourrait tomber sur le coin de la caboche de n’importe lequel d’entre nous.
« Le quatrième jour, au soir, je me suis assis dans l’herbe encore sèche, près du sable, face à la mer. Entouré par les drones locaux, ces choucas extrêmement curieux. Crevé. Tant de trucs à régler. Prendre une chambre d’hôtel à Jurmala, acheter des billets de car, repérer les horaires et réserver ma place sur le bateau, à Riga. Construire la marche à suivre. Confectionner, tatatsang, les engins incendiaires. Ce qui me faisait rire sous cape. Le monde moderne se réduisait curieusement à deux cocktails : le mojito, qui envahit les afters hours, et le molotov, qui règne sur nos rues sombres.
Du coup, j’ai eu l’impression de créer des cocktails mojitov. »

Evidemment, on est dans du roman Noir, donc social. L’auteur, qui capitalise (un comble) sur des décennies d’observation de la société, nous offre une vision précise de ce qu’elle est, dans ses zones les plus cachées, ses angles morts, là où vivent des êtres humains qui sabotent avec une grande patience et une endurance qui force le respect, ce système mortifère que je ne nommerais pas pour ne pas lui faire ce plaisir. Mais vous avez compris, quand on fait la grimace et qu’on dit que ça pue, pas besoin de préciser qu’on parle de la merde. Pouy nous décrit aussi les mécanismes de résignation, la fatigue du pauvre qui en prend plein la tronche, l’assoupissement des masses devant les plateformes télés, la multiplication des épreuves sportives de classe mondiale. Du pain et des jeux, rien n’a changé, mais le pain est rassis et fabriqué avec du blé arrosé aux pesticides et les jeux sont truqués.
N’hésitez pas, filer vous procurer ce Ma ZAD, et pas dans la boutique par correspondance de Jeff le neunoeil (le seul multimilliardaire qui possède la vision du caméléon) hein, chez ton libraire. Acheter un roman qui s’intitule Ma ZAD, faudrait pas que ça engraisse ce qu’il dénonce.
En résumé, ça envoie, ça déménage, on y distribue des pains et des gnons, on se galoche pas mal aussi, il y a du feu, de la colère, de la solidarité, et qu’est-ce qu’on se marre !
Faut pas hésiter j’vous dis.
Seb.
Ma ZAD, Jean-Bernard Pouy, Folio Policier, 204 p. , 8€.