L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
River Clyde, Simone Buchholz (Fusion) — Yann
River Clyde, Simone Buchholz (Fusion) — Yann

River Clyde, Simone Buchholz (Fusion) — Yann

Nuit bleue, paru en 2021, inaugurait à la fois les éditions Fusion (créées par Caroline de Benedetti et Émeric Cloche) et la trop courte série des « enquêtes » de Chastity Riley, procureure à Hambourg et personnage éminemment attachant. Trop courte, car il semblerait que ce River Clyde constitue le cinquième et dernier volet prévu par Simone Buchholz dont on prêterait volontiers les traits à ceux de son personnage central. Tout, dans ce premier roman, nous avait séduit, dans le fond comme dans la forme. Le fond, d’abord, avec cette improbable bande d’amis et collègues entourant Riley, femme au caractère bien trempé, fragilisé par une sensibilité d’écorchée et des émotions à fleur de peau. On s’est tout de suite senti bien, entouré de cette galerie de personnages souvent abimés par la vie, mais unis par des liens souvent plus forts et plus ambigus qu’une simple amitié. La forme, elle aussi, avait tout pour plaire avec ces courts chapitres aux titres aussi délicieusement déjantés les uns que les autres, Une démarche qui tangue ou : après deux vodkas, Je voudrais aller tout de suite là où je peux fumer, Comme si quelqu’un avait placé une bombe parmi nous et tant d’autres… Quant à l’enquête elle-même, on s’en souvient finalement moins que de l’atmosphère du roman et des nuits moites au Blaue Nacht, le bar que tient Klatsche, amant de Chastity Riley.

On s’est donc jeté sur Béton rouge à sa parution l’année suivante, mais, cette fois, le rendez-vous n’avait plus la même saveur et le scénario prenait des airs de déjà-vu. Rien de bien méchant, le bouquin restait largement lisible, mais la magie n’opérait plus. Alors qu’on allait passer notre tour pour Rue Mexico, une courte chronique enflammée de Marin Ledun, que vous retrouverez ici (encore merci pour ce partage, Marin !), une chronique nous fit donc reconsidérer notre jugement et la lecture de ce troisième volet nous permit de retrouver Chastity et sa bande comme si on s’était quitté la veille. Aussi à l’aise pour dépeindre les brasiers amoureux que les voitures qui brûlent à travers le monde, Simone Buchholz livrait un roman empli de rage et d’humanité, d’humour et de désespoir.

Vint ensuite Hôtel Carthagène, où son alchimie fonctionne encore à merveille tout en parvenant à se renouveler. Huis-clos sous tension, ce quatrième volet se trouve à la croisée des chemins, entre roman noir, film d’action et de braquage, ainsi que le présente son éditeur en quatrième de couverture. On y retrouve cependant une nouvelle fois cette complicité à mi-chemin de l’amour et de l’amitié entre des personnages qui ignorent ce que le mot tiédeur peut signifier. Riley et ses comparses ont évolué, leurs rapports également et les remises en question existentielles et amoureuses de la procureure n’en finissent pas de pimenter ces pages au sein desquelles le drame finit par s’inviter et secouer durablement chaque membre de l’équipe.

À la lecture des romans de Simone Buchholz se dégage peu à peu le sentiment que l’enquête passe souvent au second plan, éclipsée par les fêlures et le mal-être auxquels semblent être confrontés Riley, Faller, Calabretta, Klatsche, Stepanovic et les autres. Et c’est finalement ce River Clyde qui vient enfoncer le clou, achever de dynamiter la structure narrative et tous les clichés habituels du polar en ne livrant au lecteur qu’un semblant d’intrigue policière à laquelle même les principaux concernés paraissent ne porter quasiment aucun intérêt. Oui, il y a bien des morts lors d’un gigantesque incendie criminel, il y a bien aussi des suspects qui se flinguent entre eux mais l’essentiel se joue ailleurs, dans les cerveaux souvent alcoolisés de Chastity et de ses comparses, elle en Écosse, eux à Hambourg. Car Simone Buchholz délocalise son histoire et envoie Riley à la rencontre d’un avocat de Glasgow, lequel lui annonce qu’elle a hérité d’une maison quelque part dans la campagne écossaise. Léguée par une tante, cette propriété dont elle ne sait que faire va plonger la procureure dans des abîmes de perplexité en même temps que convoquer de nombreux et souvent douloureux souvenirs de ses premières années. C’est ici que prend réellement forme le projet de Simone Buchholz, en se penchant sur les origines de Riley. Les drames qui viennent marquer son enfance sont à l’origine de ce caractère que l’on a jusque-là eu du mal à cerner et qui porte à la fois Riley, ses comparses et, par là-même, les premiers romans de la série. N’hésitant pas à donner à son récit une tournure qui flirte avec le fantastique, Simone Buchholz convoque les morts, donne vie à un fleuve et le cadre humide et brumeux de l’Écosse offre un écrin rêvé à ces incartades semi-oniriques.

Riley se confronte donc à l’histoire familiale, depuis la fin du XIXᵉ siècle, époque à laquelle son arrière-arrière-grand-père a fui la pauvreté de Glasgow pour tenter sa chance aux États-Unis. De fil en aiguille, assaillie par des vagues d’images dont elle ne sait si ce sont des souvenirs, elle parvient à reconstituer l’enchaînement d’événements qui conduisirent des années plus tard au suicide de son père, soldat américain basé en Allemagne. Le poids du passé est omniprésent dans ces pages mais au lieu d’accabler Chastity, il l’aide à y voir progressivement plus clair et à prendre la distance nécessaire tout en acceptant d’être ce qu’elle est, un prolongement de cette histoire.

Quête intime, éminemment personnelle, River Clyde clôt en beauté le cycle des enquêtes de Chastity Riley et permet à Simone Buchholz de montrer l’étendue de son talent en se démarquant du polar et de ses codes pour offrir un roman à la beauté envoûtante, empli de sensualité, de douleurs et de mystères. Et l’on n’oubliera pas de se réjouir de la parution en poche chez Rivages de Nuit bleue, pour celles et ceux qui n’auraient pas encore succombé au charme de Chastity Riley.

« Me voilà devant un cimetière situé sur une immense colline. À l’entrée, un panneau où est écrit Necropolis. La ville des morts. Sur un mur en briques rouges, quelqu’un a tagué Beware of the dead. Qui sait ? Je vais peut-être mieux m’en sortir chez les morts que chez les vivants. »

Photo : D.R.

Traduit de l’allemand par Claudine Layre.

Yann.

River Clyde, Simone Buchholz, Fusion, 214 p. , 19€90.

4 commentaires

  1. J’ai lu, et beaucoup aimé, Rue Mexico puis Nuit bleue (le faire dans le désordre ne m’a pas gênée), et j’avais déjà lu deux/trois avis mitigés sur Béton rouge. Du coup je passerai directement à Nuit Carthagène, puis à ce dernier opus. La perspective de retrouver Chastity me réjouit !

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