L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
On n’est pas là pour disparaître, Olivia Rosenthal (Verticales/Folio) — Mélanie
On n’est pas là pour disparaître, Olivia Rosenthal (Verticales/Folio) — Mélanie

On n’est pas là pour disparaître, Olivia Rosenthal (Verticales/Folio) — Mélanie

S’il y a un terme qui peut résumer ce livre, c’est bien celui de paradoxe. Car il parle de la maladie d’Alzheimer, qui s’attaque aux phrases, aux mots, au langage. Alors, comment trouver les mots pour dire l’amnésie, des phrases pour dire l’aphasie ? Comment décrire quand le langage s’efface ? Comment écrire sur la lente et inexorable déliction du langage, de la pensée, de la mémoire ? Comment se glisser, avec pudeur et respect, dans le cerveau malade d’un patient atteint d’Alzheimer et tenter d’en comprendre les mécanismes qui peu à peu se grippent ? Comment comprendre la souffrance de l’entourage ? Et, enfin, comment exprimer sa propre peur, forcément irrationnelle, face à cette maladie qui entraîne vers un monde à part et détruit ce qui par essence définit l’homme : son langage ?

Toutes ces questions, Olivia Rosenthal les aborde de front, et de façon absolument remarquable et bouleversante, dans On n’est pas là pour disparaître. En aucun cas ce livre n’est un essai sur un sujet de société ; il n’est pas non plus un recueil de témoignages. Non, c’est une œuvre littéraire, un récit poignant, bouleversant, dont on ne sort pas indemne, qui mêle désordre et poésie, désespoir et optimisme, calme et agitation. Et c’est justement parce que le langage s’efface qu’elle met en œuvre toutes les ressources littéraires pour combler ces lacunes, pour dire ce manque.

Tout commence à la manière d’un fait divers : Le 6 juillet 2004, monsieur T. a poignardé sa femme de cinq coups de couteau. Il a ensuite quitté le domicile conjugal et s’est réfugié dans le jardin des voisins. C’est là qu’il a été découvert par la police. Quand, lors de son interrogatoire, on a demandé à Monsieur T. pourquoi il avait agi de la sorte, il a été incapable de répondre. Suite à cela, un examen neurologique montre que Monsieur T. (première victime, par cet anonymat, de l’effacement du langage) souffre de ce que la narratrice nomme tout au long du livre la maladie de A, comme si ce nom lui-même ne pouvait résister aux ravages de la maladie.

À partir de ce moment, la narratrice pénètre ce territoire flou et dangereux, en mêlant les voix, dans un récit polyphonique construit de façon admirable. Trois récits vont alors se mêler : le premier est la biographie d’Aloïs Alzheimer, le médecin allemand ayant donné son nom à la maladie. Le deuxième tourne autour de Monsieur T, de ses pensées d’homme malade, alternant entre lucidité et incompréhension, ainsi que celles de son entourage proche : sa femme, qui a survécu aux coups de couteau et sa fille, qu’il prend pour sa femme. Enfin, un troisième récit, plus autobiographique, dont le je représente cette fois la narratrice, qui tente de coucher par écrit son identité, comme pour conjurer le sort et laisser une trace. Pour régler aussi, et c’est peut-être l’aspect le moins intéressant de cet ouvrage, une tragédie familiale.

Crédit photo : GRAF/JDD/SIPA

Les formes s’enchaînent : courtes réflexions au milieu de la page blanche, litanies de pensées défiant les règles de la ponctuation, incantations pour tenter de dire la disparition, ou bien encore détournements d’exercices médicaux, assez angoissants : “Faites un exercice. Imaginez-vous dans la situation de celui dont l’histoire a été engloutie. Imaginez-vous à table, dans l’ignorance de ce que vous mangez, de l’endroit où vous vous trouvez, des objets qui vous entourent, des gens qui vous parlent familièrement et qui vous paraissent des étrangers”.

Grâce à son écriture virtuose et bouleversante, Olivia Rosenthal a certainement réussi un pari : celui de dire ce qui constitue – probablement – la plus grande douleur possible : celle de l’absence avant la mort.

Mélanie.

On n’est pas là pour disparaître, Olivia Rosenthal, 235 p. , 8€50.

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