
Souvent « simplement » présentée comme scénariste et romancière, Pauline Guéna, c’est moins connu, est également chargée de mission au CNRS. Normalienne et agrégée, elle présente un CV impressionnant et une bibliographie qui témoigne d’une curiosité à toute épreuve. Pour beaucoup, elle fut découverte en 2014 avec la parution chez Robert Laffont de l’impeccable Amérique des écrivains, fruit d’un voyage d’un an en camping-car avec son compagnon et leurs enfants, périple au cours duquel ils allèrent à la rencontre de vingt-six écrivains américains et pas des moindres (on y croise notamment Richard Ford, Russell Banks, Dennis Lehane, Craig Davidson, James Lee Burke, Ron Rash ou David Vann – vous voyez un peu le tableau). Par la suite, plutôt que de capitaliser sur ce succès critique et commercial, elle plonge en immersion aux côtés des brigades criminelles de la police judiciaire de Versailles une année durant. Il en résulte 18.3 – Une année à la P.J. (Denoël 2020 puis Folio 2021), dont s’inspirera en partie Dominik Moll pour son film La nuit du 12 qui remportera sept César l’année suivante ! Tout ce qu’elle fait, Pauline Guéna semble bien le faire, le faire avec coeur ET intelligence, ce qui n’est pas toujours évident. On ne sera donc pas surpris de la retrouver avec ce roman noir dans lequel, elle met en oeuvre une nouvelle fois cette empathie et ce souci de réalisme déjà appréciés précédemment.
« Serveuse dans un bar de la région parisienne, Reine, une exilée équatorienne, se mure dans le silence après avoir été témoin du meurtre de son patron. De son côté, Léan, un journaliste en mal de reconnaissance, décide de mener l’enquête. Son destin est très vite mêlé à ceux de la jeune femme et du principal suspect : Marco, méthodique tueur à gages dont les failles se révèlent à la lumière de cette affaire pleine de faux-semblants … » (Quatrième de couverture).

Reine, c’est l’histoire d’une cavale et d’une enquête, c’est aussi l’histoire d’une rencontre improbable et d’une vie de femme maltraitée par les hommes. C’est une histoire qui prend ses racines en Corse autant qu’en Équateur et qui trouve sa conclusion en banlieue parisienne. 18.3 traitait de féminicide, avec Reine, Pauline Guéna s’attache à cette jeune équatorienne dont on ne connaîtra finalement pas le parcours, autour de laquelle vont se cristalliser les destins de Léan et de Marco et qui verra mourir Igdir Negezi, un salaud ordinaire. La question des violences faites aux femmes reste donc centrale dans ce nouveau roman et Pauline Guéna parvient à toucher au coeur sans pour autant encombrer son récit de pathos ou de sentimentalisme édulcorant. Les mots employés pour décrire le calvaire de Reine sont crus et sans ambigüité, comme l’exige un rapport de police, ce qui n’empêche pas de ressentir une profonde empathie pour cette femme qui survit tant bien que mal dans un pays qui n’est pas le sien.
Si on la sent parfaitement à l’aise quand il s’agit de décrire le fonctionnement de la police et la mécanique des interrogatoires auxquelles Reine est soumise en tant que témoin, Pauline Guéna se montre tout aussi capable de restituer l’atmosphère de la rédaction d’un journal parisien et les luttes de pouvoir et d’ambitions qui s’y jouent. Mais c’est en s’attachant au parcours de Marco et à son apprentissage du banditisme en Corse que l’autrice donne une autre dimension à son roman. Elle décrit avec brio l’engrenage de cette violence qui commence par le combat indépendantiste dont la démarcation avec le banditisme est si ténue que l’on a vite fait de se retrouver en exil afin d’échapper aux forces de l’ordre. Sa fuite l’emmènera jusqu’en Guyane où il participera à un trafic de cocaïne avec la métropole, offrant par là-même quelques pages saisissantes de violence et de réalisme.
Reine, pour ceux qui la connaissaient déjà, vient confirmer le talent de Pauline Guéna. Pour les autres, ce sera la découverte d’une autrice qui sait conjuguer à merveille nervosité d’une enquête, scènes d’action mouvementées et moments intimistes et humains où des êtres en perdition se découvrent. Toujours juste, Pauline Guéna offre ici un roman noir et sensible, un drame parmi tant d’autres en ces temps troubles, et elle le fait avec ce qu’il faut de tendresse, de force et d’âpreté.
Reine, Pauline Guéna, Folio, 256 p. , 8€50.
