L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Tatouage, Manuel Vazquez Montalbán (10/18) – Yann
Tatouage, Manuel Vazquez Montalbán (10/18) – Yann

Tatouage, Manuel Vazquez Montalbán (10/18) – Yann

« Il détestait perdre son temps à analyser le monde dans lequel il vivait. il avait décidé depuis longtemps que sa vie ne serait qu’un passage, de l’enfance à la vieillesse, son destin à lui, qu’il ne pouvait partager avec personne, que personne ne vivrait à sa place, pas mieux, pas pire qu’autre chose. Il n’en avait rien à branler, des autres. La seule émotion qu’il se permettait encore, c’était celle que lui procurait un paysage. Quant au reste, c’était une question de pot. »

Photo : D.R.

Si l’on en croit les mots de Patrick Raynal en quatrième de couverture, Tatouage est non seulement la première aventure de Pepe Carvalho mais, surtout, l’écriture de ce roman résulterait d’un pari qui métamorphosa Vazquez Montalbán de poète en auteur de romans noirs. Paru en 1976, ce brillant premier essai fut suivi jusqu’en 2003 (année de la disparition de son auteur) d’une quinzaine d’autres titres parmi lesquels La Solitude du manager ou Meurtre au Comité Central.

Tatouage démarre par la découverte d’un noyé sans visage sur une plage de Barcelone. Seul signe distinctif, le cadavre porte un tatouage dans le dos, « Né pour révolutionner l’Enfer ». Pepe Carvalho est embauché par le mari d’une coiffeuse de son quartier pour enquêter sur le défunt. Ses investigations le mèneront jusqu’au célèbre quartier rouge d’Amsterdam.

En donnant vie à Pepe Carvalho (qui allait le suivre toute sa vie), Manuel Vázquez Montalbán n’imaginait sans doute pas à quel point son détective allait très vite rejoindre les plus grandes figures du roman policier. Profondément attachant malgré la distance qu’il essaie de maintenir entre lui et le monde, ainsi que le laissent entendre les quelques lignes citées en exergue de cette chronique, Carvalho séduit le lecteur avec autant de facilité que les femmes qui l’entourent. Derrière une apparente froideur, le détective peut subir de véritables coups de sang qui semblent le surprendre régulièrement lui-même. Amoureux des femmes (au premier rang desquelles Charo, sa compagne, prostituée indépendante), Carvalho est également un véritable gourmet. À ce titre, la lecture de ses enquêtes est susceptible de mettre régulièrement l’eau à la bouche des lecteurs attachés aux plaisirs de la bonne chère. Vazquez publia même en 1989 un recueil intitulé Les Recettes de Pepe Carvalho (1996 chez Christian Bourgois). Chacun des repas qu’il fait chez lui est accompagné d’une bonne flambée dans sa cheminée, même au plus fort de l’été, allumée en sacrifiant un livre pioché dans sa bibliothèque.

Mais les aventures de Pepe Carvalho ne se résument pas aux excentricités de leur principal protagoniste. Elles sont d’abord et surtout l’occasion pour Manuel Vázquez Montalbán de scruter sa ville et son pays, d’en explorer les failles et l’histoire. Très engagé politiquement, membre du PSUC (Parti Socialiste Unifié de Catalogne), Montalbán fut, comme son père qu’il ne connut pas avant l’âge de cinq ans, condamné à trois ans de prison au début des années 60. Chacun des romans du cycle Carvalho est ainsi pour lui l’occasion de s’intéresser à tel aspect social ou politique de l’histoire de son pays. Tatouage et ses parallèles Barcelone-Amsterdam évoque en cours d’enquête le quotidien des prostituées dans ces capitales européennes et laisse paraître toute la tendresse de son auteur pour ces femmes aux vies souvent chaotiques. Il y sera aussi question de trafic de drogues et de hippies, entre deux dégustations de spécialités locales et une baignade involontaire dans un des canaux d’Amsterdam.

Petit régal de noir, Tatouage a une saveur unique et donne immédiatement envie de prolonger l’expérience avec les romans suivants. Pascal Escobar nous en parlait récemment et, heureux hasard, je dénichais Tatouage quelques jours plus tard dans une boîte à livres de mon village de Haute-Loire. Une rencontre tardive, donc, mais prometteuse.

« Il n’avait pas lu un journal depuis deux mois et il eut l’impression que les choses en étaient restées au même point. S’il n’avait pas eu à subir les ultimes conséquences de toutes les saloperies qu’il lisait, il aurait cru assister au spectacle donné par une bande d’abrutis et de fous, du gibier de potences, voilà ce qu’ils étaient, cette tripotée de beaux messieurs qui menaient le monde. »

P.S. : le roman est aujourd’hui disponible chez Points, l’édition 10/18 étant indisponible depuis plusieurs années.

Yann.

Tatouage, Manuel Vázquez Montalbán, Points, 246 p. , 6€90.

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