L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Un jeu sans fin, Richard Powers (Actes Sud) — Mélanie
Un jeu sans fin, Richard Powers (Actes Sud) — Mélanie

Un jeu sans fin, Richard Powers (Actes Sud) — Mélanie

Il y a peu, dans une chronique sur Bellefleur de Joyce Carol Oates, je faisais part de mon militantisme pour que cette immense autrice reçoive un jour le prix Nobel. Et bien, vous allez croire que c’est une obsession chez moi puisque, figurez-vous que je ne serais pas contre le fait que Richard Powers le reçoive aussi un jour. Mais finalement, et au bout du compte, les prix importent peu, n’est-ce pas ? Le plus important est de savoir, dès les premières pages d’un livre, que l’on tient un chef-d’œuvre — et le plaisir de lecture qui va avec. C’est donc sans aucune hésitation que je vous le dis : jetez-vous sur Un jeu sans fin, magnifiquement traduit par Serge Chauvin.

Car Richard Powers est un magicien des récits, un musicien des mots, un chef d’orchestre construisant avec le plus grand des talents le destin de ses personnages, dont il aime à tresser les trajectoires. Qu’il parle de communication entre les arbres dans un incroyable récit polyphonique (L’arbre-monde), de musique et d’Histoire (Le temps où nous chantions) ou bien encore d’astrophysique et d’autisme (Sidérations), chacun de ses romans est une pure merveille (et je ne pensais pas dire cela un jour de quelqu’un qui me parlerait d’astrophysique), une illustration parfaite de ce que le pouvoir romanesque peut réussir quand il est maîtrisé à la perfection — sans même que l’on s’en rende presque compte tant tout cela est fluide.

Avec Un jeu sans fin, c’est cette fois à l’univers maritime qu’il s’attaque et, une fois encore, c’est une immense réussite. Reprenant l’une de ses méthodes d’écriture préférées, l’auteur entremêle trois récits différents, mais dont l’on devine vite qu’ils seront complémentaires — rien, absolument rien n’est laissé au hasard dans l’écriture de Richard Powers. Trois récits, trois époques, trois lieux : aux États-Unis, Todd Keane, ingénieur qui a révolutionné l’intelligence artificielle et les réseaux sociaux (tiens, tiens…) apprend qu’il souffre d’une maladie neurodégénérative et nous retrace l’histoire de sa vie, marquée par son amitié tumultueuse avec Rafi et les conséquences de ses recherches sur la marche du monde. Sur une île oubliée de Polynésie, les habitants sont consultés pas une entreprise américaine qui souhaite faire de leur cadre de vie en apparence paradisiaque le terrain d’expérimentation pour la construction de villes flottantes, et se déchirent sur la décision à prendre. Dans la première moitié du XXᵉ siècle, Evie est jetée dans une piscine par son père et découvre alors la passion qui passera au-dessus de tout pendant sa vie entière : elle deviendra l’une des premières femmes plongeuses botanistes du monde. Peu à peu, les récits se répondent, les échos naissent, les fils se rejoignent.

Getty – David Levenson

Avec ces trois ingrédients qui semblent dans un premier temps ne rien avoir à voir les uns avec les autres, l’auteur construit le plus beau et le plus virtuose des récits. Tour à tour œuvre poétique (les pages consacrées aux plongées d’Evie sont parmi les plus belles qui m’aient été données à lire), réflexion sur la nature humaine, la colonisation, l’environnement, l’amitié, la place des femmes (je dois bien vous confesser, dans ce roman que j’ai tant aimé, ma préférence pour l’histoire d’Evie, incroyable et inoubliable portrait de femme, et de son alter ego masculin, son si touchant mari), la démocratie, l’évolution de la technologie, la mer comme beauté ultime et lanceuse d’alerte de tous nos errements — ce récit-monde, pour parodier l’un des textes de Powers, est définitivement une brique de plus à ajouter à l’œuvre impressionnante de cet auteur, décidément l’un des génies littéraires de notre époque.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.

Mélanie.

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