
La plume affûtée et clairvoyante d’Ahmet Altan.
Du clair à l’obscur, le talent hors pair de l’auteur nous entraîne dans les variations tourmentées de l’âme humaine.
Ziya est le petit frère admiratif d’Arif, petit caïd dans la grande Istanbul, qui un jour lui déclara qu’« un homme ne pleure pas(…) »
Alors Ziya s’y applique jour après jour, à se couper de ses émotions, de sa sensibilité, à se délester d’une belle part de son humanité. Notre jeune Tcherkesse s’enferme au fur et à mesure dans cette image faite de virilité, de fierté et d’honneur.
Avec cette intelligence du trait teintée d’une parfaite espièglerie, Ahmet Altan te donne à ressentir l’absurde à l’égard de tous ceux se réclamant du pouvoir.
« Il méprisait tout le monde, entrait brusquement dans des colères noires, terrorisait même le sultan, n’écoutait autre avis que le sien, n’en faisait qu’à sa tête. Personne ne voulait d’une dictature mais tout le monde voulait faire partie de l’équipe du dictateur. Et le pacha, se flattant de n’appartenir à aucun clan, maltraitait et humiliait les membres du parti au pouvoir avec autant de férocité que les opposants. »
Un nid de serpents.
Ziya défait son monde et se défait lui-même.
Sauf qu’un jour apparaît dans un verger Nora, l’indélébile Nora. Notre tueur se retrouve alors confronté à des sentiments qu’il peine à nommer. Et le silence se fait.
La seule solution pour combler ce manquement ? Engendrer les conquêtes et jouer aux dés, de manière compulsive, miser puis les jeter sur le tapis, un peu comme remettre sa vie constamment en jeu ; espérer, perdre, mourir, ressusciter, posséder.
Les dés d’Ahmet Altan, traduit par Julien Lapeyre de Cabanes, est l’histoire d’un engloutissement tout à la fois psychologique, idéologique et charnel où les beautés du monde se confrontent sans cesse à l’absurdité humaine.

Les Dés, Ahmet Altan, Actes Sud, 208 p. , 21€80.