
La jeune fille s’enfuit aussi vite que son corps éreinté le lui permet. Elle s’enfuit d’un fort assiégé par une tribu autochtone, elle fuit la maladie et la famine qui ont ravagé ces Anglais qui s’étaient laissés séduire par l’attrait du Nouveau Monde.
En cette fin de XVIe siècle, la nature a encore tous ses droits dans ces contrées et la jeune fille sait qu’elle s’expose à mille dangers mais elle a compris que des hommes, français, se sont installés bien plus au nord, c’est cette destination qu’il faut viser.

Enfant abandonnée, tirée de la pauvreté la plus totale par une riche citadine, la jeune fille a connu quelques brefs moments de légèreté avant d’endurer une existence au service d’une famille pour qui elle n’était finalement pas grand-chose d’autre qu’une servante.
Alors qu’on la suit durant des jours dans une survie très difficile dans les bois et au fil de l’eau, dans un froid glacial et aux prises avec une faim dévorante, elle replonge dans ses souvenirs et nous laisse découvrir ce qui a forgé sa personnalité, toutes les épreuves qu’elle a déjà traversées depuis la ville dans laquelle elle est née en Angleterre.
Plus on s’enfonce dans ce monde sauvage, plus on se rend compte que tous les dangers que lui réserve la nature sont peut-être bien plus faciles à supporter que ce que les hommes lui ont toujours fait subir.
On l’accompagne, transis de froid et de peur, nous aussi,, et on se demande quelle force l’habite et jusqu’où elle la mènera.
Ce roman est tout simplement splendide. Je ne peux qu’imaginer les heures qu’il a fallu à la traductrice, Carine Chichereau, pour rendre la musicalité de la langue de Lauren Groff, l’esprit si singulier de ce texte qui oscille entre ode aux merveilles de la nature et mise en garde contre la noirceur humaine. Il se déroule dans un lointain passé, mais, par la magie de l’autrice, est d’une actualité incroyable.
Assurément un des meilleurs textes de littérature étrangère de cette rentrée d’hiver.
Aurélie.
Les terres indomptées de Lauren Groff, traduit par Carine Chichereau, paru aux Éditions de l’Olivier, est le nouveau roman époustouflant d’une auteure pouvant tout à la fois nous faire ressentir la solitude existentielle de l’être humain et la richesse des possibles.
L’origine de son histoire est une servante, dont tu ne sauras le prénom que très tardivement.
Abandonnée, asservie, recueillie, petite chose, moquée, forcée, utile, elle court, courageuse, tenace, incroyablement résiliente.
17ᵉ siècle, Jamestown, première colonie anglaise sur les terres d’Amérique, une jeune fille s’échappe d’un fort, de son sort, celui de la servitude, des violences, de la famine, des maladies.
Elle traverse les ombres, enjambe une rivière glacée, retrouve sa lumière, apprend à survivre, à anticiper, à renouer avec son instinct, celui de se lier fondamentalement à la palpitation des mondes de la terre, de l’air, du feu, de l’animalité.
Les forêts primaires de Lauren Groff sont écrites comme une peinture de Thomas Moran, c’est gigantesque, impressionnant, subtil.
Dans son tableau, point de figure masculine, et par souvent sur-représentée, mais une femme intrépide, vaillante, devenue indomptable.
Elle en arrache au creux des bois, court sous la lune pleine, se love dans les interstices d’une nature l’accueillant dans sa matrice. .
Enfin s’élargit le ruisseau qu’elle longeait, et dans l’obscurité, les arbres s’ouvrirent, laissant voir au-devant une vaste étendue froide sous le clair de lune mourant. Il était là, le fleuve, figé dans sa blancheur verdâtre, et dessous la surface, au cœur des profondeurs, des eaux furieuses toujours torrentaient de l’avant tout d’abord vers la baie, et puis jusqu’aux immensités glaciales des océans sauvages.

Tu as le souffle coupé, le rythme est là, palpitant, l’écriture est sublime.
Dans les bottes de sept lieues de Lauren Groff, tu traverses un espace immense, abondant, tu lis cette héroïne des bois, fondatrice de son royaume ensauvagé, louve aux aguets, poétesse en son domaine.
Lire Les terres indomptées, retenir son souffle. Reposer le livre et savoir que cette histoire restera longtemps en toi.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Carine Chichereau.
Fanny.
Les Terres indomptées, Lauren Groff, L’Olivier, 269 p., 23€50.