L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Nouvelle naissance, Kerry Hudson : la vie mode d’emploi (Philippe Rey) — Mélanie
Nouvelle naissance, Kerry Hudson : la vie mode d’emploi (Philippe Rey) — Mélanie

Nouvelle naissance, Kerry Hudson : la vie mode d’emploi (Philippe Rey) — Mélanie

En 2014, j’ai découvert Kerry Hudson. Ce qui m’a d’abord attirée chez elle c’est, je dois bien le dire, le titre de son récit autobiographique qui, à sa manière, résume parfaitement le mélange de tragédie sociale et d’énergie explosive qui rendent cette autrice écossaise, née à Aberdeen en 1980, tant attachante : « Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman », disponible aux Éditions 10/18. Elle y raconte de façon romancée la véritable histoire de son épouvantable enfance, entre une mère dépressive, un père absent et schizophrène, un oncle accro à l’héroïne, les foyers sociaux, les familles d’accueil, le viol qu’elle a subi, la faim permanente… Et pourtant, oui pourtant, ce qui ressort de ce récit est une énergie inimaginable et une force vitale entraînant tout sur son passage.

Depuis, Kerry Hudson a continué son parcours d’autrice, a obtenu le Prix Femina pour « La couleur de l’eau » en 2015, et écrit aussi comme journaliste pour Libération, The NewYork Times, The Guardian, The Herald — avec, toujours, ce mélange d’autobiographie et de réflexion sociale et politique, et une passion non dissimulée pour les voyages et la curiosité, l’ouverture à l’autre érigée comme mode de vie. Sans jamais tomber dans le mode d’emploi de la résilience (ce mot terrible employé à tort et à travers pour tout et n’importe quoi), tous ses textes montrent plutôt une formidable envie de vivre, de partager – et montrent aussi comment ces traumatismes planent toujours, quelque part, à la fois comme repoussoirs et points de repères pour construire sa vie. Le mot d’ordre : ne jamais oublier d’où l’on vient (comment cela serait-il, de toute façon, possible), ni ne jamais perdre de vue où l’on va.

« Nouvelle naissance » (« Newborn » dans le titre original) joue sur le sens propre et figuré de « naissance » et poursuit cette réflexion autour des thèmes habituels explorés par l’autrice. Récit autobiographique centré autour de 3 ans de sa vie – et, vous allez voir, pas n’importe lesquels – Kerry Hudson réussit une fois de plus le tour de force de construire un texte qu’on ne peut pas lâcher, autobiographique sans être narcissique, rendant passionnante la vie banale de tous les jours, social sans être misérabiliste, humain sans être mièvre – bref, pour tout vous dire : bouleversant de sincérité et d’humanité.

Nous sommes en 2019 et Kerry vient de s’installer à Prague avec Peter, son compagnon. Son talent de journaliste et d’observatrice du monde qui l’entoure est un des premiers plaisirs de ce livre, qui nous donne immédiatement envie de monter dans un train à destination de la capitale tchèque, nouveau terrain de jeu pour le couple qui, dans un premier temps, explore avec bonheur les possibilités offertes par cette ville accueillante et stimulante – il faut dire aussi qu’ils ont un talent certain pour rendre le moindre moment unique et heureux. Tout ceci ressemblerait presque à un conte de fées lorsque Kerry, qui approche de la quarantaine et n’y croit plus guère, découvre qu’elle est enceinte. Mais on le sait bien : les contes de fées, ça n’existe pas, et encore moins dans les livres de Kerry Hudson.

Crédit photo : Blake Friedmann Literary Agency

Ce livre construit en trois parties : « Vie », « Amour », « Retour », est le journal de ces trois années folles dans ce qu’il peut y avoir de meilleur : une grossesse inattendue, un amour intense pour son fils qui défie la tragédie de son enfance à elle, la découverte d’une ville qui devient peu à peu un foyer, un couple unique faisant fi des codes et des normes, la solidarité et les liens inattendus dans un pays étranger dont ils maîtrisent à peine la langue – mais aussi de pire : le Covid et ses confinements, les difficultés à rester un couple après la naissance, le passé qui malgré tout reste à combattre, la précarité de leur situation économique, une autre maladie qui s’invite comme si une pandémie mondiale ne suffisait pas…bref, c’est la vie que décrit Kerry Hudson, comme le ferait la plus chouette de nos copines qui saurait merveilleusement écrire.

Au-delà de ça, Nouvelle naissance est un récit profondément politique et social : comment donner naissance lorsqu’on a été une enfant maltraitée ? Comment former famille sans avoir jamais su ce que cela était ? Comment aimer, en tant que femme et en tant que mère, quand on a été élevé dans l’indifférence et la violence ? Comment transformer la pire des jeunesses en matériau littéraire et politique ? Comment créer ses propres repères ? C’est peu dire que l’énergie, l’humour, la force vitale dont fait preuve Kerry Hudson pour tenter de répondre à ces questions sont absolument bouleversantes. On a vraiment du mal à la quitter une fois la dernière page atteinte – et on s’inviterait bien chez elle, Peter et leur fils Sammy pour parler de la vie, autour d’une bière, jusqu’au bout de la nuit.

Traduit de l’anglais par Florence Lévy-Paoloni.

Mélanie.

Nouvelle naissance, Kerry Hudson, Philippe Rey, 336 pages, 23 €.

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