L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Seul l’horizon, Matt Riordan (Paulsen) – Yann
Seul l’horizon, Matt Riordan (Paulsen) – Yann

Seul l’horizon, Matt Riordan (Paulsen) – Yann

« Travail d’équipe, leadership, engagement – il avait appris à employer ces termes comme un talisman, une sorte d’anesthésiant social pour endormir les esprits, qu’il débitait avec révérence à quiconque se méfiait de lui. Ici, ces mots semblaient n’avoir aucun pouvoir. Ils étaient plutôt source de moquerie. »

On a beau se méfier des blurbs comme de la peste (mais si, les blurbs, ces phrases enthousiastes imprimées sur les bandeaux des livres et que l’on paye à des « célébrités », qu’elles soient écrivains, chroniqueurs télé ou autres pour nous convaincre que ce titre est fait pour nous), bref, on a beau s’en méfier, quand le blurb en question est signé Craig Davidson, on se dit qu’avec ce que ce type a écrit, s’il dit du bien de Seul l’horizon, alors il faut qu’on le lise. En tout cas, c’est ce que je me suis dit. Il se trouve de plus que j’éprouve une fascination certaine pour l’Alaska, la mer de Béring et tous ces lieux que l’on qualifierait facilement d’hostiles, alors le fait que le roman s’y déroule a achevé de me convaincre et grand bien m’en a pris.

Car Seul l’horizon, même quand on le lit au fond de la librairie par une journée de canicule, a le pouvoir particulier de nous téléporter à l’autre bout de la planète pour y vivre une expérience hors-norme avec toute l’intensité qu’ont dû en ressentir les protagonistes. Oui, je sais, je m’enflamme un peu mais c’est une façon de dire que Matt Riordan (qui signe ici son premier roman) sait embarquer (dans tous les sens du terme) son lecteur et lui donner une idée assez précise de la vie de ces pêcheurs en mer de Béring durant la saison du hareng et du saumon.

Le jeune Adam, après s’être fait dénoncer pour avoir vendu des cachets d’ecstasy sur son campus, perd sa bourse d’études et n’a que quelques semaines pour réunir les 26000 dollars nécessaires à sa réinscription en fac. Suivant les conseils d’une amie, il embarque à bord du Vice, vieux rafiot à bord duquel lui et ses compagnons d’infortune vont tenter de toucher le pactole annoncé. Mais, ici moins qu’ailleurs, l’argent ne tombe pas du ciel et Adam prendra vite la mesure du défi qu’il s’est lancé.

Photo : Mathieu Pattier / Ouest France.

Comme tout bon américain qui se respecte, Matt Riordan semble avoir eu plusieurs vies et avant d’être avocat à New York pendant vingt ans puis de partir s’installer en Australie, il a pratiqué la pêche commerciale en Alaska alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années. On ne sera pas surpris que l’expérience l’ait suffisamment marqué pour le pousser à en tirer un roman bon nombre d’années plus tard. Dans ce coin du monde où il vaut mieux avoir un sacré caractère, un gros moral et un bon physique, les interactions, que ce soit avec l’environnement ou avec les têtes brûlées qui s’y retrouvent, sont souvent rugueuses. Pressées par les grosses compagnies qui les exploitent sans vergogne, les équipes de pêche se retrouvent en compétition sur des surfaces parfois peu étendues et des laps de temps décidés par l’administration, ce qui peut donner lieu à de solides embrouilles. Il n’y a ici pas vraiment de règle du jeu, seules comptent la hargne et la débrouille. Matt Riordan, fort de son expérience, s’y entend comme personne pour restituer cette atmosphère unique où se mêlent l’adrénaline, la testostérone, les odeurs de mazout et celles des poissons, les cris des pêcheurs et ceux des oiseaux, dans une immense et sauvage curée. Si l’on y ajoute une grève des pêcheurs et l’avidité d’un patron sans scrupule, le climat devient vite explosif.

Parfait mélange de roman d’aventure, d’apprentissage et de noir, Seul l’horizon se lit d’une traite ou presque et sera une lecture bienvenue pour ces vacances d’été, dépaysante et plus que rafraîchissante. Elle sera également l’occasion de nous interroger une nouvelle fois sur notre rapport à la nature et sur cette cupidité typiquement humaine qui semble chaque jour davantage nous précipiter vers notre perte.

« La pluie se déversait toujours du ciel anthracite et un vent constant faisait moutonner l’eau grisâtre. Adam avait la sensation que l’homme n’avait pas sa place en ce lieu et qu’ils étaient venus y voler quelque chose. »

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Guillaume.

Yann.

Seul l’horizon, Matt Riordan, Paulsen, 339 p. , 22€.

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