L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Bellefleur, Joyce Carol Oates (Le Livre de Poche)  – Mélanie
Bellefleur, Joyce Carol Oates (Le Livre de Poche) – Mélanie

Bellefleur, Joyce Carol Oates (Le Livre de Poche) – Mélanie

« 4 janvier 1979
Ici, à mon bureau, depuis des heures, depuis 8h30 ce matin (et il est 19h30), totalement absorbée dans les anneaux serpentins de langage qui constituent «Bellefleur». Vivre la langue minute par minute… les arabesques de la langue… prononcer des phrases et des expressions à haute voix (et certaines de ces phrases sont d’une longueur ambitieuse)… sentir quelque chose naître à la vie… quelque chose d’indéfinissable, d’incalculable…
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C’est ainsi que Joyce Carol Oates relate, dans le journal qu’elle tenait à l’époque, l’écriture en train de se faire de Bellefleur. Elle y parle aussi d’un « roman vampire, qui m’a vidée de mon énergie d’une manière qui échappe à ma volonté ». Qui mieux que l’autrice elle-même pouvait définir ce style envoûtant dont elle régale le lecteur tout au long de ce pavé de plus de mille pages ? Effectivement, à l’image du serpent et du vampire dont parle Oates, ce roman nous hypnotise, nous enserre et ne nous lâche plus.

Inutile de se lancer dans l’impossible pari de résumer ce livre. En l’ouvrant, mettez de côté toute raison, toute logique cartésienne et rationnelle. Laissez-vous emporter par le rêve, l’imaginaire, le merveilleux. Dans la longue tradition des romans gothiques et du réalisme magique à la Gabriel Garcia Marquez, Joyce Carol Oates, dont c’est ici l’un des premiers romans, pose la première pierre de l’univers qu’elle déploiera par la suite dans son oeuvre romanesque, faite de pavés qui chantent les louanges de la narration sous toutes ses formes.

Bellefleur est une saga : celle de la famille éponyme, dont on découvre l’arbre généalogique à la première page du roman, aux ramifications infinies cessant brusquement au début du XXe siècle, on comprendra pourquoi à la fin du livre. Peu à peu, Joyce Carol Oates nous révèle l’histoire des Bellefleur, faisant fi de toute loi chronologique, dans un récit caractérisé par une prolifération foisonnante et baroque. Dans un style stupéfiant, elle disperse de petits cailloux que le lecteur ramasse avec délectation pour reconstituer le fil de l’histoire de cette famille, composée de personnages marginaux et démesurés, histoire qui naît sur un carnage et se termine sur une apocalypse. Entre les deux : des centaines de récits, qu’on ne retiendra pas tous mais qu’importe, d’enfants nés avec deux sexes, d’hommes se transformant en animaux, d’orages diluviens, de mariages heureux, de drames, de personnages dont le destin individuel est écrasé par l’histoire familiale. S’étalant sur près d’un siècle, le roman ne laisse pourtant percer que de loin le monde qui entoure cette famille, comme un bruissement lointain, à jamais étranger.

Car la géographie de ce roman participe au réalisme merveilleux. Tous les personnages évoluent dans un huis clos dont le centre est le château des Bellefleur, construit près du Lac noir. Le château est la métaphore parfaite du récit, qui contient, comme autant de tiroirs narratifs, des centaines de pièces, décor idéal au foisonnement du récit. Comme le château, le récit est une mosaïque : on passe d’une pièce à l’autre, d’une histoire à l’autre, de façon concentrique jusqu’à reconstituer le tableau dans son ensemble. Tous les personnages prennent progressivement chair, entraînant le lecteur dans leur destin hors norme, et qui, jusqu’à la dernière ligne, se laisse bercer par cette formidable conteuse d’histoire qu’est Joyce Carol Oates.

Vous l’aurez compris : je fais partie de cette famille qui, depuis des années, réclame inlassablement le prix Nobel pour Joyce Carol Oates ! (Ceci est une ruse pour voir si les membres du Jury sont abonnés à Aires Libres).

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch.

Mélanie.

Bellefleur, Joyce Carol Oates, LGF, 976 p. , 11€90.

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