Que ce soit par flemme, manque de temps ou juste pour laisser de la place aux autres membres de l’équipe, on écarte régulièrement certaines lectures du blog, pas forcément qu’elles aient été mauvaises ou inintéressantes mais simplement parce qu’il faut bien faire des choix. Ressentant ces dernières semaines une certaine frustration à l’idée de n’avoir pas pu parler de quelques-uns de ces romans, je me suis finalement décidé à les regrouper au sein d’une seule et même chronique que vous avez maintenant sous les yeux.
Le festival de la couille, Chuck Palahniuk (Folio)

Même si j’ai vu Fight Club il y a de nombreuses années, j’avoue n’en avoir gardé aucun souvenir et n’avoir pas non plus lu un seul bouquin de ce trublion des lettres américaines. Lorsque je suis tombé sur ce recueil magnifiquement intitulé Le Festival de la couille et autres histoires vraies, il m’a paru la porte d’entrée idéale pour découvrir une œuvre souvent qualifiée de subversive ou déjantée.
Vingt-trois nouvelles, parfois très courtes, proposent ainsi des mini-reportages qui, mis bout à bout, composent une mosaïque des États-Unis et des américains vus à travers le regard à la fois tendre et féroce de Chuck Palahniuk. On y retrouve, ainsi qu’il le dit lui-même dans une préface particulièrement éclairante, certaines de ses obsessions déjà à l’œuvre dans d’autres textes et, tout particulièrement, cette fascination sur ce que l’être humain est capable de faire pour s’intégrer et échapper à la solitude. Tous les récits de ce livre concernent nos rapports avec autrui, dit-il. Les miens avec les gens. Ou ceux des gens avec les autres.
Autre fil rouge du recueil, cette mince frontière entre réalité et fiction déjà à l’œuvre dans les précédents romans de Palahniuk. Découpé en trois parties, Ensemble, Portraits et Seul, ce Festival de la couille se montre finalement plus touchant que choquant. On aura une préférence pour les nouvelles mettant en scène de parfaits inconnus, des individus lambda plus ou moins farfelus, parfois franchement déjantés, mais dont la folie douce provient bien souvent d’une simple envie de reconnaissance. Qu’on y parle de combats de moissonneuses-batteuses dans les collines de l’état de Washington, d’une partouze géante au fin fond du Montana, de la vie mouvementée des lutteurs amateurs ou de fous furieux dont la passion consiste en la construction de châteaux-forts grandeur nature, Palahniuk se confronte (et nous avec lui) à la face méconnue de son pays, où la réalité dépasse régulièrement la fiction et où les gens parviennent à se rassembler et à donner un sens à leur existence autour de passions parfois improbables. La partie centrale du recueil, Portraits, est consacrée à des rencontres avec des célébrités aussi diverses que Juliette Lewis, Marilyn Manson ou Michelle Keating. Ces entretiens semblent convenus, presque trop formels malgré l’envie de chacun(e) de montrer sa différence et son grain de folie. Seul, qui clôt le recueil, est un ensemble de sept textes dans lesquels l’auteur revient sur divers épisodes de sa vie et n’hésite pas à se dévoiler, sans impudeur, mais avec une grande honnêteté. Certaines de ces nouvelles sont particulièrement touchantes et Palahniuk prend bien soin de ne jamais ou presque s’y montrer à son avantage. Portrait éclaté d’un pays hors norme, Le Festival de la couille m’a ainsi donné envie de me plonger dans les romans de Palahniuk auxquels il apporte sans le moindre doute un éclairage crucial.
Un monde que Socrate n’aurait pas pu imaginer, un monde où les êtres humains ne réfléchissent plus à leur vie qu’en termes de potentiel cinématographique et éditorial. Où une histoire ne serait plus le résultat d’une expérience. Aujourd’hui, on court après ‘expérience pour engendrer la fiction.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Blanc.
Dios et Florida, Ivy Pochoda (Globe)

Celles et ceux qui l’ont lu se souviendront de l’onde de choc ressentie à la lecture de Ces femmes-là, précédent roman d’Ivy Pochoda (Globe 2023 / Bourgois 2025). Les autres auront droit à une séance de rattrapage puisque le bouquin est paru en poche le mois dernier.
Dios appelait ça de la faiblesse. Pendant des années, je l’ai entendue rabâcher ça. Elle disait que je me dévalorisais, parce que combien de femmes sont assez fortes pour refroidir un être humain ? Comme si je devais en être fière. Tout ça, si vous voulez mon avis, c’est des discours féministes à la con. Comme s’il n’y avait pas de place pour la puissance et le regret dans un même corps. Comme si ces deux entités pouvaient pas cohabiter.
Le ton est donné et on retrouve ici les thèmes déjà en œuvre dans Ces femmes-là, à savoir le rôle des femmes dans la société américaine, plus particulièrement la place que leur concèdent les hommes, et leur attitude face à la violence. Le roman commence en prison et se poursuit sur la route où Dios, obsédée par Florida, poursuit cette dernière avec une ténacité et une colère sans pareilles. Il sera bien sûr tentant et facile d’invoquer l’esprit de Thelma et Louise, mais les rapports ici en œuvre fonctionnent avec une tout autre mécanique. Ivy Pochoda sait écrire la violence, la tension, elle évoque avec force et talent des paysages désolés, qu’ils soient urbains ou désertiques. Elle ne ménage ni ses « héroïnes » ni ses lecteurs et Dios et Florida ressemble ainsi à une grande fuite en avant dont on a du mal à imaginer qu’elle se termine en happy end. Au cœur d’une société qui tend à refuser aux femmes la part de violence à laquelle elles pourraient aspirer, ne serait-ce que pour se défendre, Dios et Florida tracent leur route avec une fureur que rien ni personne ne parvient à maîtriser et Ivy Pochoda livre une nouvelle fois un roman électrique et charnel, dont la bande son serait constituée de titres comme Live fast, die young ou autres Born to be wild. Si l’effet de surprise provoqué par la lecture de Ces femmes-là s’est quelque peu atténué, on devra néanmoins admettre qu’Ivy Pochoda poursuit son œuvre comme ses protagonistes tracent leur route, avec une rage et une détermination sans faille. Ne serait-ce que pour cela, elle mérite notre plus grand respect.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Adélaïde Pralon.
Gunks, Nicolas Richard (Arthaud)

Nicolas Richard, on l’a d’abord connu comme traducteur. Mes années de fac se souviennent avec émerveillement de la découverte des textes de Richard Brautigan publiés chez un petit éditeur que je découvrais alors : les éditions de l’Incertain. J’avais certes découvert le faux hippie avec ses romans les plus connus, publiés chez 10/18, mais son Journal japonais et son recueil Il pleut en amour étaient les cerises que je n’attendais plus sur un gâteau auquel je croquais avec gourmandise depuis quelques mois. On a ensuite retrouvé son nom ici et là au fil des années, voix française de quelques auteurs auxquels on vouait un culte au moins équivalent, des gens comme Harry Crews, Hunter Thompson ou Thomas Pynchon pour ne citer que ceux-là.
On l’a plus récemment découvert auteur avec Par instants le sol penche bizarrement – Carnets d’un traducteur (Robert Laffont 2021) où il revient sur sa carrière et livre quelques anecdotes, souvent drôles, toujours sincères et passionnantes. C’est un autre aspect de sa vie qu’il aborde ici de façon romancée en se souvenant d’une période clé de sa vie durant les années 80. Après avoir décidé d’arrêter le lycée, le jeune Meduz, sorte d’alter ego de l’auteur, découvre les plaisirs de l’escalade sur les bords de Loire orléanais. Après quelques années à s’entraîner dur et à se frotter à la difficulté dans divers coins réputés du pays, il décide avec deux amis, Manuel et Claire, de passer au cran supérieur. Le trio s’envole pour les États-Unis et les mythiques falaises des Gunks au cœur des Appalaches. À l’époque, le jeune Meduz est plus ou moins en couple avec Claire, fascinante jeune femme éprise d’amour et de liberté tout autant que d’escalade. C’est autour d’elle que va se constituer le classique triangle amoureux qui poussera Meduz dans les affres de la jalousie. Même si l’escalade reste au cœur du séjour, la compétition va se cristalliser ailleurs que sur les falaises. Si l’on ajoute au tableau une étrange présence qui semble rôder autour du campement des jeunes français et la rencontre marquante avec un guide du parc, ces quelques semaines vont finir par ressembler à un apprentissage en accéléré de ce que la vie peut nous réserver de meilleur comme de pire.
Il sera donc question dans ces pages d’escalade, bien sûr, mais également d’amour, de jalousie, de sexe (émaillé d’extraits du journal que tenait Claire à l’époque, le récit se fait parfois troublant) et de mort puisque mort il y a. On imagine sans peine le tourbillon d’émotions pris en pleine figure par celui qui ne savait peut-être pas encore qu’il deviendrait quelques années plus tard un des traducteurs français les plus estimés. Sous titré Chronique du temps insouciant, Gunks se lit donc comme un roman d’apprentissage en accéléré et un exercice au cours duquel Nicolas Richard brouille les pistes et joue sur un fil entre roman et autobiographie, semant la confusion dans l’esprit du chroniqueur désemparé mais heureux.
Lire ce texte quelques mois après avoir à mon tour découvert l’escalade à l’âge canonique de 52 ans m’a fait un bien fou et donné l’impression de rajeunir un bon coup, ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent.



Yann.
Le Festival de la couille, Chuck Palahniuk, Folio, 362 p., 9€50.
Dios et Florida, Ivy Pochoda, Globe, 336 p., 23€.
Gunks, Nicolas Richard, Arthaud, 288 p., 19€90.
Quand même bien développé, ce trio! Je crois que je vais te copier ! Là j’ai 3 livres lus, et une flemme terrible. Sans doute aussi pas un enthousiasme démesuré. Mais ils vallent qu’on en parle quand même …bref. Trois brèves, c’est pas mal comme idée. Merci !
Attention, j’ai déposé un brevet sur ce concept ! Content de pouvoir t’inspirer et curieux de voir ce dont tu parleras !