L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Chiens des Ozarks, par Eli Cranor : Une Plongée dans l’Amérique Profonde ? (Sonatine Éditions) — Nicolas
Chiens des Ozarks, par Eli Cranor : Une Plongée dans l’Amérique Profonde ? (Sonatine Éditions) — Nicolas

Chiens des Ozarks, par Eli Cranor : Une Plongée dans l’Amérique Profonde ? (Sonatine Éditions) — Nicolas

Comme tout le monde, ou plutôt comme tous ceux qui s’intéressent un minimum à la littérature américaine, à Ron Rash, à David Joy ou autres David Vann, j’ai vu arriver sur le catalogue de Sonatine cette couverture étonnante, pleine de vieilles bagnoles. On dirait une casse, me suis-je pensé dans le for de moi-même.

Et puis le bandeau, sur lequel Cosby te promet un roman qui va te couper le souffle, te tirer des larmes, et te faire jubiler, tout ça dans le même paragraphe. Mazette, comme disait mon grand-père…

Ça semblait être un vrai roman social, genre qui aurait fait plaisir à Jean-Patrick, et je m’en délectais le cervelet avant même de l’avoir ouvert.

Et puis ce titre. Dès qu’il y a un chien dans le titre, je pense à un des romans qui a marqué mon petit cœur de lecteur, un roman écrit par Misha Alden, alias… Je te dirai à la fin de ma rédac.

Comme pas mal de lecteurs compulsifs, je suis allé jeter un regard circonspect à la fin du livre, pour savoir qui était remercié.

C’est du sérieux. Il va même jusqu’à dire que Toni Morrison fait partie de ceux qui l’ont influencé, j’imagine que c’était entre son prix Nobel et le petit déjeuner.

C’est du sérieux, je te dis.

Quant à moi, tu me connais, je suis méfiant, et quand on annonce tous ces noms à la fin du bouquin, je m’interroge sur le bien-fondé du machin.

Parce que Toni Morrison, Ron Rash, David Joy, et autres David Vann (il ne l’a pas cité), ils sont quand même tout en haut de mon petit Panthéon.

Mais bon. D’accord.

Donc, Jeremiah.

Il a fait la guerre, au Vietnam, et il a dégommé des gens sans vraiment les voir, puisqu’ils étaient juste dans sa lunette. Un peu comme le mec qui a raté Trump, il y a quelques jours…

Je fais pas de la politique Ghislaine. J’explique la guerre, les snipers et les drones.

Jeremiah, c’est un ancien alcoolique. Il ne boit plus.

Du tout.

Sauf quand Joana, sa petite-fille, disparaît. Il siffle une bouteille de Jim Beam, cul sec, et ça ne lui fait pas plus d’effet que quand je bois du jus de pomme.

Il est costaud, Jeremiah, et puis comme il ne boit plus depuis des années, ça passe crème.

Je déconne. J’ai croisé des anciens alcooliques qui détectaient une cuillère de rhum dans un dessert de 50 personnes.

D’autres trucs pénibles, parfois agaçants, car ils ont tendance à s’accumuler tout au long du bouquin, m’ont souvent fait perdre le fil.

La couverture du roman, évidemment, c’est la casse dans laquelle vivent Jeremiah et sa petite fille, Joana. Il est tout seul pour l’élever, et ce n’est pas tous les jours facile, car Joana, elle a du caractère.

Trafic de drogue, des flingues en pagaille, du racisme assez ordinaire, un peu comme ce qu’on croise chez nous tous les jours, mais c’est aux States. C’est plus grand.

Les forêts sont plus grandes, et les chiens plus méchants.

Disons qu’au détour des premières pages, c’est ce que je me suis plu à imaginer. Puis à espérer.

J’ai fréquemment pensé à David Joy, ainsi qu’à son écriture à l’os. Pensé à Ron Rash, à ses mots riches en poésie, à David Vann, et à son obscure clarté de l’air…

Bien sûr que l’histoire est intéressante, si on met de côté tout ce qui m’a saoulé, au deuxième sens du terme.

Comme il a eu le prix Edgar Allan Poe pour son premier roman, il aurait peut-être fallu traduire celui-ci.

J’ai dégringolé, par le plus grand des hasards, sur la chronique d’un mec de France Inter (ceux qui ont viré Guillaume Meurice à cause d’un prépuce, ou plutôt de l’absence dudit prépuce).

Le type nous explique que l’écriture est superbe, et qu’elle fait la puissance de ce roman bouleversant, fin de la citation… Et qu’Eli Cranor joue dans la cour des grands, fin de la deuxième citation.

Bon, ben, on n’a pas lu le même roman.

Les paysages de l’Arkansas, les monts Ozark, bien sûr que ça va te faire penser à d’autres lectures que tu as croisées. Assurément que la nature aurait pu être omniprésente, évidemment que les suprémacistes blancs et leur truc entre les deux oreilles (je crois que c’est un verre d’eau) auraient pu, eux aussi, être plus fouillés au milieu de tout ce bazar…

Bien entendu que la pauvreté aurait pu être décrite sans larmes de crocodile, comme l’ont déjà fait ceux que j’ai cités juste au-dessus…

Des maux, sortis des tripes du monsieur, pour faire plaisir à Buk.

Probablement qu’en voulant toucher à tout ça, sans jamais aller au fond des choses, Eli Cranor a raté le coche. Comme s’il avait voulu écrire un roman qui se vende au mieux, même si j’espère me tromper.

Mais j’ai du mal à y trouver la substantifique moelle.

Ça poisse, ça colle, ça racise, ça fume de la drogue pendant toute une journée, mais rien de tout ça ne m’a emporté ailleurs qu’au milieu des pages de ce bouquin.

Chaque scène transpire la tragédie surjouée, chaque dialogue cherche à frapper fort, mais ne fait que sonner creux. Ce n’est plus du polar sombre, c’est un concours de la surenchère la plus déprimante. L’ambiance est si lourde qu’on a l’impression de suffoquer sous une avalanche de misère artificielle.

Cranor écrit comme un boxeur qui enchaîne les swings dans le vide. Sec, brutal, dépouillé… et terriblement mécanique. Ses courtes phrases, censées injecter du rythme, finissent par ressembler à une suite de grognements dénués d’âme. La volonté de faire “authentique” vire à la caricature : dialogues hachés, punchlines forcées, effets de style téléphonés. C’est du noir ultra-réduit, évaporé jusqu’à en perdre toute saveur.

Les américains, certains en tout cas, viennent de voter pour des mecs dont l’un d’entre eux nous a fait un très joli salut romain (je te rappelle qu’à Rome, dans les années 40, sous Mussolini, les romains se saluaient effectivement comme ça). D’aucuns, toujours les mêmes, n’y ont vu qu’un moyen de nous offrir son cœur, tout au bout des doigts de la main droite.

Pourquoi pas…

Il va y avoir des choses à raconter au beau pays des Amérindiens, ceux qui, quand on leur a dit que les étrangers devaient quitter le pays, ont répondu, ah bon ? Et vous partez quand ?

Un roman sur cette Amérique profonde, celle qui autorise des gamins de huit ans à se promener avec un flingue, celle qui autorise les flics à tabasser à mort un type parce qu’il a la peau trop foncée (je sais, on n’en est pas loin non plus), celle qui vient de mettre au pouvoir de la plus puissante armée du monde un type dont la seule gloire est d’être un des hommes les plus riches de la planète…

Ça s’appelle marcher sur la corde raide.

Si vous aimez les clichés du roman noir poussés à l’extrême, vous serez servis. Sinon, passez votre chemin. Chiens des Ozarks veut être une descente aux enfers, mais il trébuche sur sa propre prétention.

Et pourtant, deux phrases, au détour des pages…

J’ai tôt appris qu’on doit garder certains chiens en cage.

Ou encore

Le passé saignait dans le présent, un peu plus chaque minute.

Et ce paragraphe, croisé au fond d’un chapitre…

Du jour où il avait entrevu la vérité, Jeremiah avait compris qu’il ne serait plus jamais le même. On lui accordait des repos et des permissions, toujours en compagnie d’autres snipers, ou des gars des forces spéciales, rangers ou SEAL, des soldats qui avaient du sang sur les mains. Les gradés lui tapaient dans le dos :

« Bon boulot, fiston. Je suis sacrément fier de toi. » Rien que des ruses, une mise en condition pour qu’il reparte sur le terrain faire le sale boulot à leur place. Tuer n’avait rien de naturel. Les médailles, les défilés, les surnoms ronflants avaient réussi à anesthésier sa douleur un temps seulement.

Quant à Misha Alden, comme promis, elle s’appelle Justine Niogret, et elle a écrit La viande des chiens, le sang des loups

Va donc voir chez ton libraire indépendant, et demande-lui de te le commander.

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.

Cétait Nicolas.

Et la traductrice : Emmanuelle Heurtebize

Chiens des Ozarks, Eli Cranor, Sonatine Éditions, 304 p. , 22 €

Et si on rigolait un peu ?

2 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

En savoir plus sur Aire(s) Libre(s)

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture