L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Somb, Max Monnehay (Éditions du Seuil & Points) — Seb
Somb, Max Monnehay (Éditions du Seuil & Points) — Seb

Somb, Max Monnehay (Éditions du Seuil & Points) — Seb



« Le monde semblait avoir évacué toutes ses couleurs. Le vent violent contre lequel il fallait lutter donnait aux rares promeneurs l’air de tirer de lourdes charges. Le sourire de Marcus, le froid mordant et les embruns qui nous giflaient rapprochèrent, le temps d’une heure ou deux, les bords de ma blessure. »

L’histoire. Psychologue, écouter tous les jours les confidences des détenus de la prison de la Citadelle, du côté de l’île de Ré. C’est le métier de Victor Caranne. Mais sa petite routine et sa vie tranquille et heureuse vont voler en éclats lorsque l’épouse de son meilleur ami Jonas, Julia, est retrouvée assassinée sur une plage non loin du pont de l’île de Ré.

C’est le premier livre de Max Monnehay que je lis. Depuis le temps que j’en entendais parler. Mon épouse me l’a piqué et l’a lu avant moi. « Tu vas aimer » qu’elle a dit avec un sourire à la fois convaincu et énigmatique.

Elle me connaît bien. J’ai aimé, beaucoup.

D’abord, j’aime bien les récits à la première personne du singulier, quand c’est bien travaillé, ça donne une consistance rare au narrateur, donc à l’histoire. On entre en douceur dans ce polar tendu comme l’arquebuse de Basile, le cuisinier du château de Châlus, celui qui a dézingué Richard Cœur de Lion. Mais je digresse… On entre en douceur, et ça, c’est bien. Un polar n’a pas besoin de démarrer sur les chapeaux de roues, c’est aussi bien de nous présenter les personnages dans leur petit monde douillet. C’est habile, car on les aperçoit nageant dans le bonheur avant que tout s’écroule. Ainsi, nous assistons à la fin de quelque chose, à la Grande Perte qui pourfend l’âme. J’ai toujours pensé qu’en littérature, c’est mieux d’éprouver la descente aux enfers que de commencer directement au fond du trou.
Max Monnehay ne nous épargne rien de cette descente aux enfers et le tout sans violence gratuite, sans images pénibles qui ne seraient pas totalement indispensables. Cette élégance et ce refus de la facilité ont une fâcheuse tendance à se perdre, c’est dommage.
Bien sûr, et tu t’y attends, chère lectrice ou cher lecteur, si tu es un habitué de mes petites chroniques, je ne vais pas en dire plus sur l’histoire. Je préfère creuser un peu du côté des personnages, tellement vivants, incarnés par leur douleur et leur passé, bouffés par le doute, le chagrin infini et des secrets, forcément, qui n’en a pas ? Dans ce registre, celui emporte la timbale, c’est Marcus, lui, tu vas l’aimer. Perclus de doutes, portant une grande blessure à ciel ouvert.
La première belle trouvaille, c’est d’avoir délocalisé l’histoire du côté de La Rochelle. C’est revigorant, dépaysant et cela rappelle que Paris n’est pas la France. Les Parisiens ne s’en souviennent qu’entre fin juin et fin août.
Les descriptions sont habiles et le lieu apporte de la richesse au récit, surtout que l’auteure évite l’image d’Épinal de la côte Atlantique en été. Bien vu.
L’autre trouvaille, c’est le travail du narrateur, Victor Caranne. Ce n’est pas qu’un élément caractérisant, c’est une partie non négligeable de l’histoire et les considérations psychologiques émaillent subtilement les pages, elles apportent de l’autorité au récit. Le métier, la prison, sont présents tout le long du roman, d’une manière ou d’une autre.

Dans l’exercice usé jusqu’à la corde de la recherche du meurtrier dans une sorte de thriller psychologique, Max Monnehay contourne les pièges en se montrant inventive en s’éloignant du cœur de l’histoire pour s’attacher aux personnages, de premier plan ou de second ordre. Cela fait baisser la tension et on savoure d’autant plus lorsqu’elle remonte en flèche. L’humour est présent, juste ce qu’il faut, comme ici dans une scène avec l’enquêteur Babiak :
Je me tus, je n’allais pas faire tout le boulot. Babiak croisa les bras. Ses épaulettes remontèrent jusqu’à ses oreilles. Son tailleur méritait quelques années dans un goulag. Facile.
Du bel ouvrage. Deux phrases pour planter la scène. Une autre pour imposer une image. Une dernière pour le coup de grâce. Un mot pour enfoncer le clou. Un passage digne de Jean-Patrick Manchette.

La manière de raconter l’histoire suscite en nous un rapprochement rapide et puissant avec Caranne. Tantôt, on est scandalisé par le traitement qu’il reçoit de la part des flics, on a envie de hurler, tantôt, on éprouve un violent désir de le choper par le colbac et de le secouer pour lui dire « mais t’es trop con ! »
J’ai beaucoup aimé le duel à fleuret moucheté entre lui et Babiak, ce flic physiquement complètement hors des standards du genre, avec ces silences, ces regards malins, ces pièges tendus, ce physique de dernier de la classe, sans parler des dialogues intérieurs très bien distillés.
On tourne les pages, on y va tête baissée, parce qu’on en tire un grand plaisir. Et tandis que l’heure tourne et s’enfonce dans le ventre de la nuit, on se répète cette phrase commune aux librocubicularistes du monde entier « allez, un dernier chapitre et j’arrête ». Ah ah ah, vœu pieu.
Ce roman est une grande histoire d’amitié qui tourne mal, ce roman est une grande histoire d’amour qui finit mal (Rita Mitsouko nous avait prévenus, pensées pour Fred Chichin). Attention toutefois, si une histoire d’amour finit mal, cela ne préjuge en rien de la fin du roman, on n’est pas là pour divulgâcher. Et les histoires d’amour sont comme les trains, elles peuvent en cacher une autre.
Je vous laisse avec un autre passage de Somb.
« La Guigne était devenu une blague entre matons. Entre détenus aussi. Le genre qui vous fait oublier que la Guigne a un nom. Une famille. Une existence. Le genre qui vous masque un fait important : c’est un homme. La Guigne n’était plus, dans l’esprit de tout un chacun, qu’un catalogue de tuiles, une liste sans fin de coups du sort plus invraisemblables les uns que les autres. Il portait son sobriquet comme Elvis son perfecto : divinement.

Seb.

Somb, Max Monnehay, Éditions du Seuil & Points, 312p., 18,50€ (8,70€)


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