
Il est hypnotique ce roman, une plongée aventureuse, gothique, sombre, haletante.
En exergue, cette phrase de Toni Morrison provenant du Chant de Salomon : « Si tu veux voler, faut laisser tomber toute la merde qui t’alourdit. »
Les esseulées de Victor LaValle, traduit par Stéphane Vanderhaeghe, paru chez Actes Sud, peut, dans une première vision, être un western.
Une fugitive, Adélaïde, quitte précipitamment la Californie avec pour seul et unique bien une imposante malle scellée, qu’elle surveille avec intensité. Adélaïde s’enfuit pour le Montana, jeune femme noire au pays de l’Oro y Plata et des colons.
Victor LaValle part d’une trouvaille faite à l’université de Missoula : des femmes seules, quelles que soient leurs origines, pouvaient venir cultiver leurs terres dans le cadre des « Homestead Acts » et signer, par elles-mêmes, pour l’obtention de leurs arpents de terre.
Toutefois, en 1915, le poids des conventions est aussi lourd que la mystérieuse malle d’Adélaïde. Et les bruits courent au milieu des plaines, jusqu’aux recoins les plus obscurs des Bear Paw Mountains.
Seulement Adélaïde n’est plus esseulée, elles sont là, proches, d’autres femmes, d’autres destins, d’autres puissances.
Alors, où est-il ce monstre immense que personne ne voit ? En la personne d’une veuve et de ses quatre garçons aveugles ? Au sein de cette communauté d’honnêtes travailleurs et travailleuses de Big Sandy ? Au milieu de ces hommes s’arrogeant le droit de rétablir l’ordre et la bien-pensance ?
Les esseulées déploient leur envergure comme le corbeau déploie ses ailes, c’est majestueux, éclatant.
C’est le début d’un voyage aux sources de l’émancipation pour cette poignée de femmes, quelles que soient leurs origines, se battant pour leurs droits et leurs libertés.

Mêlant western sanglant, roman gothique, réalités historiques et angoisses cauchemardesques, Victor LaValle tisse son chemin vers l’Ouest au milieu des vivants et des fantômes, des traumas et des résistances.
« Tout ce qu’il lui manquait, c’était la caresse de sa mère dans ses cheveux, les genoux d’Eleanor positionnés de chaque côté de ses épaules, une étreinte aussi rassurante que l’exiguïté de son utérus. Je n’enverrai pas par le monde une malheureuse fille, désarmée devant ses ennemis et ignorante des pièges qui l’attendent sur sa route. Mais je ne la préserverai pas plus en lui faisant abdiquer toute dignité et toute confiance en soi, en lui faisant perdre la volonté de se défendre elle-même. »
Happée.
Fanny.
Les Esseulées, Victor LaValle, Actes Sud, 384 p., 23€50.